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« Cette Égypte que tu me vantais, mon cher Servien, je l’ai trouvée légère, suspendue à un fil, voltigeant à chaque souffle de la mode. Là, ceux qui adorent Sérapis sont en même temps chrétiens, et ceux qui se disent évêques du Christ sont dévots à Sérapis. Pas un président de synagogue juive, pas un samaritain, pas un prêtre chrétien qui ne cumule ses fonctions avec celles d’astrologue, de devin, de charlatan. Le patriarche lui-même[1] quand il vient en Égypte, est forcé par les uns à adorer Sérapis, par les autres à adorer le Christ. Engeance séditieuse, vaine, impertinente ! Ville opulente, riche, productrice, où personne ne vit oisif[2] ! Les uns soufflent le verre, les autres fabriquent le papier, d’autres sont teinturiers. Tous professent quelque métier et l’exercent. Les goutteux trouvent de quoi faire ; les myopes ont à s’employer ; les aveugles ne sont pas sans occupation ; les manchots même ne restent point oisifs. Leur dieu unique, c’est l’argent[3]. Voilà la divinité que chrétiens, juifs, gens de toute sorte adorent. On regrette de trouver si peu de mœurs dans une ville digne assurément, par sa production et sa grandeur, d’être la ca-

    gon. J’ai suivi l’édition de Peter. Il est inconcevable qu’on ait élevé des doutes contre l’authenticité d’un pareil morceau, d’un style si fin, qui porte si bien le cachet de son auteur, et que personne n’avait intérêt à fabriquer. Comment, d’ailleurs, si la pièce était une fraude chrétienne (!!), eût-elle fait illusion à Phlégon, le secrétaire d’Adrien ? Comment les chrétiens eussent-ils pu introduire leur fraude dans les recueils, essentiellement païens, de Phlégon et de l’Histoire Auguste ?

  1. Probablement l’ab-beth-din juif, qu’Adrien avait pu voir en Palestine.
  2. Il s’agit d’Alexandrie.
  3. Lisez nummus, au lieu de nullus.