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haines violentes sont le fait des sectaires. Qui aime beaucoup hait beaucoup.

De tous les côtés, la difficulté de concilier les deux rôles de Jésus, de faire cohabiter dans une même existence l’homme sage et le Christ produisait des imaginations analogues à celles qui excitaient la colère de Jean. Le docétisme était, si on peut s’exprimer ainsi, l’hérésie de ce temps. Beaucoup ne pouvaient admettre que le Christ eût été crucifié, mis au tombeau[1]. Les uns, comme Cérinthe, admettaient une sorte d’intermittence dans le rôle divin de Jésus ; les autres supposaient que le corps de Jésus avait été fantastique, que toute sa vie matérielle, surtout sa vie souffrante, ne fut qu’une apparence[2]. Ces imaginations venaient de l’opinion, fort répandue à cette époque, que la matière est une chute, une dégradation de l’esprit, que la manifestation matérielle est un abaissement de l’idée. L’histoire évangélique se volatilisait ainsi en quelque chose d’impalpable. Il est curieux que l’islamisme, qui n’est qu’une sorte de prolongation arabe du

  1. « Qui Jesum separant a Christo, et impassibilem perseverasse Christum passum vero Jesum dicunt. » Irénée, III, xi, 7.
  2. Le désir de combattre cette erreur se sent dans les Épîtres de Jean, I Joh., i, 1, 3 ; iv, 2, 3 ; II Joh., 7 ; Polycarpe, Epist. ad Phil., c. 7 ; pseudo-Ignace, Éph., 7-8 ; Trall., 9, 10 ; Smyrn., 1-8 ; Magn., 8, 9, 10, 11 ; saint Jérôme, Adv. luciferianos, 8.