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cain. Avec la meilleure foi du monde, ces excellents souverains croient réaliser un État fondé sur l’égalité naturelle de tous les citoyens, une royauté ayant pour base le respect de la liberté[1]. Liberté, justice, respect de l’opposition, étaient leurs maximes fondamentales[2]. Mais ces mots, empruntés à l’histoire des républiques grecques, dont les lettrés étaient nourris, n’avaient pas beaucoup de sens dans la société réelle du temps. L’égalité civique n’existait pas. La différence du riche et du pauvre était écrite dans la loi ; l’aristocratie romaine ou italiote conservait tous ses privilèges ; le sénat, rétabli par Nerva dans ses droits et sa dignité, restait tout aussi muré qu’il l’avait jamais été ; le cursus honorum était le privilège exclusif des nobles. Les bonnes familles romaines ont reconquis leur prédominance exclusive dans la politique ; hors d’elles, on n’arrive pas.

La victoire de ces familles fut assurément une victoire juste ; car, sous les règnes odieux de Néron et de Domitien, elles avaient été l’asile où s’étaient réfugiés la vertu, le respect de soi-même, l’instinct du commandement raisonnable, la bonne éducation littéraire et philosophique ; mais ces mêmes familles, comme il arrive d’ordinaire, formaient un monde très-fermé. Œu-

  1. Marc-Aurèle, Pensées, I, 14.
  2. Ibid., II, 5 ; VI, 55.