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la nation avaient refusé de croire à la messianité de Jésus.

L’Évangile de saint Matthieu, comme presque toutes les compositions fines, a été l’ouvrage d’une conscience en quelque sorte double. L’auteur est à la fois juif et chrétien ; sa nouvelle foi n’a pas tué l’ancienne et ne lui a rien ôté de sa poésie. Il aime deux choses en même temps. Le spectateur jouit de cette lutte sans tourments. État charmant que celui où l’on est, sans être encore rien de déterminé ! Transition exquise, moment excellent pour l’art que celui où une conscience est le paisible champ de bataille sur lequel les partis contraires se heurtent, sans qu’elle soit elle-même ébranlée ! Quoique le prétendu Matthieu parle des juifs à la troisième personne comme d’étrangers[1], son esprit, son apologétique, son messianisme, son exégèse, sa piété sont essentiellement d’un juif. Jérusalem est pour lui « la ville sainte », « le lieu saint »[2]. Les missions sont à ses yeux l’apanage des Douze ; il ne leur associe pas saint Paul, et il n’accorde sûrement pas à ce dernier de vocation spéciale, quoique les instructions apostoliques, telles qu’il les donne, contiennent plus d’un trait tiré de la vie du

  1. Matth., xxviii, 15. C’est la constante manière de parler du quatrième Évangile.
  2. Matth., iv, 5 ; xxiv, 15 ; xxvii, 53.