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entendu ; les ébionim purs tiraient de celle-là des conséquences subversives. Le rédacteur de notre Évangile ajoute un mot pour prévenir certains excès. Les « pauvres » dans le sens ordinaire deviennent les « pauvres en esprit »[1], c’est-à-dire les pieux Israélites, jouant dans le monde un rôle humble et qui contraste avec l’air orgueilleux des puissants du jour. Dans une autre béatitude, « ceux qui ont faim » deviennent « les affamés de justice »[2].

Le progrès de la réflexion est donc sensible dans Matthieu ; on entrevoit chez lui une foule d’arrière-pensées, l’intention de parer à certaines objections, une exagération dans les prétentions symboliques[3]. Le récit de la tentation au désert s’est développé et a changé de physionomie[4] ; la Passion s’est enrichie de quelques beaux traits[5]. Jésus parle de « son Église » comme d’un corps déjà constitué et fondé sur la

  1. Matth., v, 3. Comp. Luc (vi, 20), resté ici fidèle au texte primitif des λόγια. À vrai dire, πτωχός rend médiocrement la nuance d’ébion, ce dernier mot impliquant une idée religieuse, une acception pieuse et presque mystique.
  2. Matth., v, 6. Comp. Luc, vi, 21. Εἰκῇ, Matth., v, 22, est une autre atténuation, mais postérieure et due à certains copistes.
  3. Comparez le récit du baptême de Jésus, simple et nu dans Marc, i, 11-12, plus riche et plus accentué dans Matth., iii, 14-15, et dans l’Évangile ébionite (Épiph., hær. xxx, 13).
  4. Marc, i, 12-13.
  5. Matth., xxvi, 50, 52.