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Le parti qu’a pris Marc d’abréger si singulièrement les grands discours de Jésus nous étonne. Ces discours ne pouvaient lui être inconnus ; s’il les a omis, c’est qu’il a eu quelque motif pour cela. L’esprit de Pierre, un peu étroit et sec, est peut-être la cause d’une telle suppression. Ce même esprit est sûrement l’explication de l’importance puérile que Marc attache aux miracles. La thaumaturgie, dans son Évangile, a un caractère singulier de matérialisme lourd, qui fait songer par moment aux rêveries des magnétiseurs. Les miracles s’accomplissent péniblement, par phases successives. Jésus les opère au moyen de formules araméennes, qui ont un air cabbalistique. Il y a une lutte entre la force naturelle et la force surnaturelle ; le mal ne cède que peu à peu et sur des injonctions réitérées[1]. Ajoutez à cela une sorte de caractère secret, Jésus défendant toujours à ceux qui sont l’objet de ses faveurs d’en parler[2]. On ne saurait le nier, Jésus sort de cet Évangile, non comme le délicieux moraliste que nous aimons, mais comme un magicien

  1. Ainsi pour le démoniaque de Gergésa, Marc, v, 1-20 ; pour l’épileptique, ix, 14-29, et surtout pour l’aveugle de Bethsaïde, viii, 22-26 (notez surtout la naïve réponse du verset 24).
  2. Cette injonction se retrouve dans Matthieu, mais moins expresse et moins logique. Comp. Marc, i, 44 ; iii, 12, à Matth., viii, 4 ; xii, 16.