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gile fut d’abord un livre syrien, écrit en une langue sémitique. Le style évangélique, ce tour charmant de narration enfantine qui rappelle les pages les plus limpides des vieux livres hébreux, pénétrées d’une sorte d’éther idéaliste que le vieux peuple ne connut pas, n’a rien d’hellénique. L’hébreu en est la base. Une juste proportion de matérialisme et de spiritualisme, ou plutôt une indiscernable confusion de l’âme et des sens, fait de cette langue adorable le synonyme même de la poésie, le vêtement pur de l’idée morale, quelque chose d’analogue à la sculpture grecque, où l’idéal se laisse toucher et aimer.

Ainsi fut ébauché par un génie inconscient ce chef-d’œuvre de l’art spontané, l’Évangile, non pas tel ou tel Évangile, mais cette espèce de poëme non fixé, ce chef-d’œuvre non rédigé, où chaque défaut est une beauté, et dont l’indécision même a été la principale condition de succès. Un portrait de Jésus fini, arrêté, classique, n’aurait pas eu tant de charme. L’agada, la parabole, ne veulent pas de contours nets. Il leur faut la chronologie flottante, la transition légère, insoucieuse de la réalité. C’est par l’Évangile que l’agada juive est arrivée à la vogue universelle. Cet air de candeur a séduit. Celui qui sait conter s’empare de la foule. Or savoir conter est un rare privilège ; il faut pour cela une naïveté, une absence