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La légende raconte qu’une de ces saintes, marchant au supplice, rencontra un jeune homme qui, touché de sa beauté, eut pour elle un regard de pitié. Voulant lui laisser un souvenir, elle tire le mouchoir qui couvrait son sein et le lui donne ; enivré de ce gage d’amour, le jeune homme court un instant après au martyre. Tel fut, en effet, le charme dangereux de ces drames sanglants de Rome, de Lyon, de Carthage. La volupté des patients de l’amphithéâtre devint contagieuse, comme sous la Terreur la résignation des « victimes ». Les chrétiens se présentent avant tout à l’imagination du temps comme une race obstinée à souffrir ; le désir de la mort est désormais leur signe[1]. Pour arrêter le trop d’empressement au martyre, il faudra la menace la plus terrible, la note d’hérésie, l’expulsion de l’Église.

La faute que commirent les classes éclairées de l’empire en provoquant cette exaltation fiévreuse ne saurait être assez blâmée. Souffrir pour sa croyance est quelque chose de si doux à l’homme, que cet attrait seul suffit pour faire croire. Plus d’un incrédule

  1. Moriendi contemptus de Tacite, Hist., V, 5, s’applique, il est vrai, aux juifs, non aux chrétiens (Tacite fait bien la distinction des deux religions). Ce que Épictète et Marc-Aurèle disent des Galiléens s’applique aussi aux fanatiques du siège. Voir les Apôtres, p. 235, note 4.