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indélébile ; le nævus sanglant inscrit au front de l’Église martyre ne s’effacera plus.

Ceux des frères qui ne furent pas torturés eurent en quelque sorte leur part dans les supplices des autres par la sympathie qu’ils leur témoignèrent et le soin qu’ils prirent de les visiter dans les fers. Ils achetèrent souvent cette dangereuse faveur au prix de tous leurs biens. Les survivants de la crise furent entièrement ruinés. À peine y songeaient-ils ; ils ne voyaient que les biens durables du ciel et se disaient sans cesse : « Encore un peu, et celui qui doit venir viendra[1]. »

Ainsi s’ouvrit ce poëme extraordinaire du martyre chrétien, cette épopée de l’amphithéâtre, qui va durer deux cent cinquante ans, et d’où sortiront l’ennoblissement de la femme, la réhabilitation de l’esclave, par des épisodes comme ceux-ci : Blandine en croix, éblouissant les yeux de ses compagnons qui voient dans la douce et pâle servante l’image de Jésus crucifié ; Potamiène défendue contre les outrages par le jeune officier qui la conduit au supplice ; la foule saisie d’horreur quand elle aperçoit les seins humides de Félicité ; Perpétue épinglant dans l’arène ses cheveux piétinés par les bêtes, pour ne pas paraître affligée[2].

  1. Hebr., x, 32 et suiv.
  2. « Dispersos capillos infibulavit ; non enim decebat martyrem disparsis capillis pati, ne in sua gloria plangere videretur. »