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Grèce antique, organiser des fêtes inouïes, jouer au théâtre des rôles sans nom[1].

La cause de ces aberrations était le mauvais goût du siècle, et l’importance déplacée qu’on accordait à un art déclamatoire, visant à l’énorme, ne rêvant que monstruosités[2]. En tout, ce qui dominait, c’était le manque de sincérité, un genre fade comme celui des tragédies de Sénèque, l’habileté à peindre des sentiments non sentis, l’art de parler en homme vertueux sans l’être. Le gigantesque passait pour grand ; l’esthétique était tout à fait dévoyée : c’était le temps des statues colossales, de cet art matérialiste, théâtral et faussement pathétique, dont le chef-d’œuvre est le Laocoon[3], admirable statue assurément, mais dont la pose est trop celle d’un premier ténor chantant son canticum, et où toute l’émotion est tirée de la douleur du corps. On ne se contentait plus de la douleur toute morale des Niobides, rayon-

  1. Suétone, Néron, 11, 20, 21, 23, 24, 25, 27, 30 ; Tacite, Ann., XV, 37, etc. ; Dion Cassius, LXI, 17-21 ; LXII, 15.
  2. Juvénal, Sat., i, init. ; Martial, Spectac.
  3. Nous ne prétendons pas trancher la question de la date de cet ouvrage ; mais c’est vers le temps où nous sommes qu’on commence d’y voir un chef-d’œuvre sans égal. Pline, H. N., XXXVI, v (4). Cf. Overbeck, Die antiken Schriftquellen zur Gesch. der bild. Künste, p. 391-392 ; H. Brunn, Gesch. der griech. Künstler, I, p. 469 et suiv., 495 et suiv.