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des Évangiles synoptiques, l’homme exalté qui n’avait vu le fondateur du christianisme que dans ses rêves le transformait de plus en plus en un être surhumain, en une sorte d’archée métaphysique qu’on dirait n’avoir jamais vécu.

Cette transformation, du reste, ne s’opérait pas seulement dans les idées de Paul. Les Églises issues de lui marchaient dans le même sens. Celles d’Asie Mineure, surtout, étaient poussées par une sorte de travail secret aux idées les plus exagérées sur la divinité de Jésus. Cela se conçoit. Pour la fraction du christianisme qui était sortie des entretiens familiers du lac de Tibériade, Jésus devait toujours rester l’aimable fils de Dieu qu’on avait vu passer parmi les hommes avec cette attitude charmante et ce fin sourire ; mais, quand on prêchait Jésus aux gens de quelque canton perdu de la Phrygie, quand le prédicateur déclarait ne l’avoir jamais vu et affectait presque de ne rien savoir de sa vie terrestre[1], que pouvaient penser ces bons et naïfs auditeurs de celui qu’on leur prêchait ? Comment pouvaient-ils se le figurer ? — Comme un sage ? comme un maître plein de charme ? Ce n’est nullement ainsi que Paul présentait le rôle de Jésus. Paul ignorait ou feignait d’ignorer le Jésus

  1. II Cor., v, 16.