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trop idéaliste. Il tiendra peu à savoir ; la curiosité lui paraît chose vaine. Confondant la grande volupté de l’âme, qui est une des manières de toucher l’infini, avec le plaisir vulgaire, il s’interdira de jouir. Il est trop vertueux.

Une autre loi se montre dès à présent comme devant dominer cette histoire. L’établissement du christianisme correspond à la suppression de la vie politique dans le monde de la Méditerranée ; le christianisme naît et se répand à une époque où il n’y a plus de patrie. Si quelque chose manque totalement aux fondateurs de l’Église, c’est le patriotisme. Ils ne sont pas cosmopolites ; car toute la planète est pour eux un lieu d’exil ; ils sont idéalistes dans le sens le plus absolu. La patrie est un composé de corps et d’âme. L’âme, ce sont les souvenirs, les usages, les légendes, les malheurs, les espérances, les regrets communs ; le corps, c’est le sol, la race, la langue, les montagnes, les fleuves, les productions caractéristiques. Or, jamais on ne fut plus détaché de tout cela que les premiers chrétiens. Ils ne tiennent pas à la Judée ; au bout de quelques années, ils ont oublié la Galilée ; la gloire de la Grèce et de Rome leur est indifférente. Les contrées où le christianisme s’établit d’abord, la Syrie, Chypre, l’Asie Mineure, ne se souvenaient plus d’un temps