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furent persuadés, après le repas, que Jésus s’était assis à côté d’eux et leur avait présenté de ces mets, déjà devenus pour eux eucharistiques et sacrés[1].

C’était surtout Jean et Pierre qui étaient favorisés de ces intimes entretiens avec le fantôme bien-aimé. Un jour, Pierre, en songe peut-être (mais que dis-je ! leur vie sur ces bords n’était-elle pas un songe perpétuel ?), crut entendre Jésus lui demander : « M’aimes-tu ? » La question se renouvela trois fois. Pierre, tout possédé d’un sentiment tendre et triste, s’imaginait répondre : « Oh ! oui, Seigneur, tu sais que je t’aime ; » et, à chaque fois, l’apparition disait :

  1. Jean, xxi, 9-14 ; comp. Luc, xxiv, 41-43. Jean réunit en une seule les deux scènes de la pêche et du repas. Mais Luc groupe autrement les choses. En tout cas, si on pèse attentivement les versets Jean, xxi, 14-15, on se convaincra que les liaisons de Jean sont ici un peu artificielles. Les hallucinations, au moment où elles naissent, sont toujours isolées. C’est plus tard qu’on en forme des anecdotes suivies. Cette façon de joindre comme consécutifs des faits séparés par des mois et des semaines se voit d’une manière frappante en comparant entre eux deux passages du même écrivain, Luc, Évang., xxiv, fin, et Actes, i, commencement. D’après le premier passage, Jésus serait monté au ciel le jour même de la résurrection ; or, d’après le second, il y eut un intervalle de quarante jours. Si l’on prenait aussi à la rigueur Marc, xvi, 9-20, l’ascension aurait eu lieu le soir de la résurrection. Rien ne prouve mieux que la contradiction de Luc dans ces deux passages combien les rédacteurs des écrits évangéliques tenaient peu aux sutures de leurs récits.