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juif, le chrétien n’éprouve qu’une résignation à peine méritoire. Il a pour lui l’éternité[1].

Cette solution, qui ne triompha qu’en rompant avec les principes les plus arrêtés du judaïsme, n’entraîna nullement la masse d’Israël. Les grands révoltés de l’an 70, les énergumènes du temps d’Adrien, l’auteur du Livre de Judith, celui du Livre de Tobie, sont fidèles à l’ancienne philosophie. Dans le Talmud, le problème reste en suspens. Beaucoup de docteurs talmudiques croient au royaume de Dieu et à la résurrection comme des chrétiens ; la plupart ne sortent pas de l’ancien système. Ces martyrs du moyen âge que le fanatisme chrétien empile sur les bûchers ne croient pas tous à l’immortalité de l’âme. Tel saint de Mayence, en allant au supplice, invente à sa charge tous les crimes imaginables et s’en accuse pour justifier la Providence, pour maintenir ce principe fondamental que Dieu ne saurait finalement abandonner son serviteur. Jusqu’à nos jours, cette pénombre fait la force des grandes âmes Israélites. Le juif n’est pas résigné comme le chrétien. Pour le chrétien, la pauvreté, l’humilité sont des vertus ; pour le juif, ce sont des malheurs, dont il faut se défendre. Les abus, les violences, qui trouvent le chrétien calme, révoltent le juif, et c’est ainsi que l’élément israélite est devenu,

  1. Il est remarquable que les premiers docteurs chrétiens qui essayent d’amalgamer le christianisme avec la philosophie grecque, saint Justin et Tatien, ne croient nullement à l'éternité de l’âme. Pour eux, l’âme est essentiellement mortelle. Dieu la rend immortelle par une faveur et une sorte de miracle. Il faut noter que Justin et Tatien étaient des Syriens. Voir Marc-Aurèle, p. 111.