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l’on se demande si ce n’est pas aller contre ses intentions que de prendre les choses par ce biais.

Une telle doctrine, chez un Grec et chez nous, passerait pour l'impiété même, et serait intimement associée à la négation de la Divinité. Il n’en est rien chez notre auteur. Cette doctrine est celle d'un juif conséquent. L’auteur est loin d’être un des insensés qui disent : « Dieu n’est pas. » On peut le trouver sceptique, matérialiste, fataliste, pessimiste surtout ; ce que sûrement il n’est pas, c’est athée. Nier Dieu, pour lui, ce serait nier le monde, ce serait la folie même. S’il pèche, c’est parce qu’il fait Dieu trop grand et l’homme trop petit. Dieu a créé le monde pour montrer sa puissance ; il crée perpétuellement toute vie ; les fins qu’il s’est proposées dans la création de l’univers et de l’homme sont impénétrables. Mais comment ne pas s’incliner devant un être si puissant ? S’il donne la vie à l’homme, il la lui ôte aussi. Il punit quelquefois, et il est des mauvaises actions dont la simple prudence ordonne de s’abstenir. La punition d’ailleurs, en certains cas, est une sorte de loi naturelle. Les plaisirs de la jeunesse, par exemple, on les expie plus tard par des infirmités ; ce qui n’est pas cependant une raison pour se les interdire tout à fait. Dieu juge l’homme, mais d’après des principes peu saisissables. Dans la plupart des cas, il est impossible de discerner son action et de voir sa main. En somme, Dieu s’intéresse peu à l’homme, puisqu’il l’a mis dans la situation la plus fausse, en lui donnant les préoccupations de la sagesse avec une destinée finie, la même pour le fou et pour le sage,