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héritiers qu’il ne connaît pas, et qui ne tiendront pas de lui le moindre compte. L’auteur se rabat alors sur l'amitié ; là, du moins, il paraît avoir éprouvé quelque douceur. Mais comment trouver la paix dans un monde où la loi morale commande le bien et où tout semble fait exprès pour encourager le mal ?

Le crime est une folie sans doute ; mais la sagesse et la piété ne sont nullement récompensées. Tel scélérat est honoré comme devrait l’être l’homme vertueux. Tel homme vertueux est accablé d’infortunes comme devrait l’être le scélérat. La société est mal faite ; les hommes ne sont pas à leur place ; les rois sont égoïstes et méchants ; les juges, pervers ; les peuples, ingrats et oublieux. Quelle est donc la vraie sagesse pratique ? Jouir doucement de la fortune qu’on a acquise par son travail ; vivre heureux avec la femme qu’on a aimée jeune ; éviter les excès de toute sorte ; ne pas être trop sage ni s’imaginer qu’en s’exténuant d’efforts on triomphera de la destinée ; ne pas non plus s’abandonner à la folie, car elle est presque toujours punie ; ne pas être trop riche (la grande richesse ne donne que souci) ; ne pas être pauvre, car le pauvre est méprisé ; accepter les préjugés du monde tels qu’ils existent, sans les combattre et sans chercher à les réformer ; en tout, pratiquer une philosophie modérée et de juste milieu, sans zèle, sans mysticisme. Un galant homme, exempt de préjugés, bon et généreux au fond, mais découragé par la bassesse du temps et les tristes conditions de la vie humaine, voilà notre auteur. Il serait héros volontiers ; mais, vraiment, Dieu récompense si peu l’héroïsme, que