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qu’il a tout trouvé frivole et creux. On aime à se le représenter comme un homme exquis et de bonnes manières, comme un ancêtre de quelque riche juif de Paris égaré en Judée du temps de Jésus et des Macchabées.

Ce que le Cohélet, en effet, est bien essentiellement et par excellence, c’est le juif moderne. De lui à Henri Heine, il n’y a qu’une porte à entr’ouvrir. Quand on le compare à Élie, à Jérémie, à Jésus, à Jean de Gischala, on a peine à comprendre qu’une même race ait produit des apparitions si diverses. Quand on le compare à l’Israélite moderne, que nos grandes villes commerçantes d’Europe connaissent depuis cinquante ans, on trouve une singulière ressemblance. Attendez deux mille ans, que la fierté romaine se soit usée, que la barbarie ait passé, vous verrez combien ce fils des prophètes, ce frère des zélotes, ce cousin du Christ, se montrera un mondain accompli ; comme il sera insoucieux d’un paradis auquel le monde a cru sur sa parole ; comme il entrera avec aisance dans les plis de la civilisation moderne ; comme il sera vite exempt du préjugé dynastique et féodal ; comme il saura jouir d’un monde qu’il n’a pas fait, cueillir les fruits d’un champ qu’il n’a pas labouré, supplanter le badaud qui le persécute, se rendre nécessaire au sot qui le dédaigne. C’est pour lui, vous le croiriez, que Clovis et ses Francs ont frappé de si lourds coups d’épée, que la race de Capet a déroulé sa politique de mille ans, que Philippe-Auguste a vaincu à Bouvines, et Condé à Rocroi. Vanité des vanités ! Oh ! la bonne condition pour conquérir les