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Ce qui nous plaît surtout dans le Cohélet, c’est la personnalité de l’auteur. On ne fut jamais plus naturel ni plus simple. Son égoïsme est si franchement avoué, qu’il cesse de nous choquer. Ce fut certainement un homme aimable. J’aurais eu mille fois plus de confiance en lui que dans tous les hasidim ses contemporains. La bonté du sceptique est la plus solide de toutes ; elle repose sur un sentiment profond de la vérité suprême : Nil expedit. Il paraît qu’il ne se maria pas. C’est la plus forte critique de son siècle. De nos jours, il eût sûrement trouvé des femmes spirituelles et beaucoup moins méchantes qu’il ne le croit, pour le consoler et l’aimer. Les femmes se fâchent rarement du mal qu’on dit de leur sexe. Une certaine mauvaise humeur contre elles leur semble la preuve qu’on s’occupe d’elles ; or les femmes n’ont vraiment de dédain et d’aversion que pour celui qui vit tranquillement d’autre chose qu’elles. En leur disant qu’on a tout trouvé fade, on ne leur déplaît pas absolument.

C’est par là que le Cohélet est un livre si profondément moderne. Le pessimisme de nos jours y trouve sa plus fine expression. L’auteur nous apparaît comme un Schopenhauer résigné, bien supérieur à celui qu’un mauvais coup du sort a fait vivre dans les tables d’hôte allemandes. Cohélet, comme nous, fait de la tristesse avec de la joie et de la joie avec la tristesse ; il ne conclut pas, il se débat entre des contradictoires ; il aime la vie, tout en en voyant la vanité. Surtout, il ne pose jamais. Il ne se complaît pas dans l’effet qu’il produit ; il ne se regarde pas maudissant l’existence. Il est d’une parfaite sincérité en disant