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il se relève tout à coup par un accent élevé. Cette façon de philosopher est la vraie. On ne fera jamais taire les objections du matérialisme. Il n’y a pas d’exemple qu’une pensée, un sentiment se soient produits sans cerveau ou avec un cerveau en décomposition. D’un autre côté, l’homme n’arrivera point à se persuader que sa destinée soit semblable à celle de l’animal. Même quand cela sera démontré, on ne le croira pas. C’est ce qui doit nous rassurer à penser librement. Les croyances nécessaires sont au-dessus de toute atteinte. L’humanité ne nous écoutera que dans la mesure où nos systèmes conviendront à ses devoirs et à ses instincts. Disons ce que nous pensons ; la femme n’en continuera pas moins sa joyeuse cantilène, l’enfant n’en deviendra pas plus soucieux, ni la jeunesse moins enivrée ; l’homme vertueux restera vertueux ; la carmélite continuera à macérer sa chair, la mère à remplir ses devoirs, l’oiseau à chanter, l’abeille à faire son miel. Dans ses plus grandes folies, Cohélet n’oublie pas le jugement de Dieu. Faisons comme lui. Au milieu de l’absolue fluidité des choses, maintenons l’éternel. Sans cela, nous ne serions ni libres ni à l’aise pour le discuter. Les plus victimes, le lendemain du jour où on ne croirait plus en Dieu, seraient les athées. On ne philosophe jamais plus librement que quand on sait que la philosophie ne tire pas à conséquence. Sonnez, cloches, bien à votre aise ; plus vous sonnerez, plus je me permettrai de dire que votre gazouillement ne signifie rien de distinct. Si je craignais de vous faire taire, ah ! c’est alors que je deviendrais timide et discret.