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destruction de Jérusalem par Titus, le centre de l'autorité juive se transporte à Iabné ou Iamnia, à quatre lieues et demie environ au sud de Jaffa[1]. Là, le judaïsme s’organise et se resserre ; là, en particulier, vers l’an 80 de notre ère, se pose la question des livres anciens qu’il faut conserver et qui doivent faire partie du Canon. Job, Ézéchiel, Le Cantique des cantiques et Les Proverbes prêtaient à plus d’une objection, à cause de quelques images étranges, de certaines hardiesses et d’un ou deux tableaux libres. On les conserva néanmoins. La question du Cohélet fut également agitée. Le ton libertin qui y règne avait de quoi troubler une époque aussi pieuse. La discussion fut vive ; le livre l’emporta cependant. Quelques versets d’apparence religieuse sauvèrent le reste. Le temps, d’ailleurs, était aux interprétations bizarres. On ne cherchait plus dans un livre son sens naturel. On y cherchait mille sens auxquels l'auteur n’avait jamais pensé. On eût trouvé des mystères sublimes dans des amas de lettres jetées au hasard. Un texte ancien était devenu un grimoire qui servait à des jeux de mots. Que le texte signifiât ceci ou cela, c’était chose fort indifférente. On n’avait plus d’yeux pour voir ni pour lire. En général, du reste, on lit mal, quand on lit à genoux.

Avec de tels procédés, il n’est pas surprenant qu’on ait pu faire d’un dialogue d’amour un livre d’édification, d’un livre sceptique un livre de philosophie sacrée. Les docteurs de Iabné ne comprirent rien ni à l’un ni à l’autre, et ce fut fort heureux ; car, s’ils eussent compris, certainement ils eussent détruit les

  1. Voir 'Les Évangiles