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dégagé, qu’aucun préjugé n’aveugle et qui arrive à placer le but suprême de la vie dans le plaisir tranquille. Cyrène fut, avec Alexandrie, la ville où il y eut le plus de Juifs. Mais les mêmes causes produisent, dans les familles humaines les plus diverses, des effets semblables. Le galant homme se ressemble en Europe, en Chine, au Japon. La Grèce, à vrai dire, n’eût point écrit une œuvre aussi découragée. La foi en la science soutient la Grèce, Le Cohélet est l’œuvre d’une absolue décrépitude. Jamais on ne fut plus vieux, plus profondément épuisé. Et dire que ce livre de scepticisme, à la fois élégant et morne, fut écrit peu de temps avant l’Évangile et le Talmud !... Peuple étrange, en vérité, et fait pour présenter tous les contrastes ! Il a donné Dieu au monde, et il y croit à peine. Il a créé la religion, et c’est le moins religieux des peuples ; il a fondé l’espérance de l'humanité en un royaume du ciel, et tous ses sages nous répètent qu’il ne faut s’occuper que de la terre. Les races les plus éclairées prennent au sérieux ce qu’il a prêché, et lui, il en sourit. Sa vieille littérature a excité le fanatisme de toutes les nations, et il en voit mieux que personne les côtés faibles. Aujourd’hui, comme il y a deux mille ans, il clorait volontiers le rouleau sacré par cette petite réflexion de lecteur ami de ses aises : « Assez de livres inspirés comme cela ! Trop lire fatigue la chair. »


Le livre Cohélet ne commence à faire parler de lui que vers la fin du Ie siècle de notre ère. Après la