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qui condamnèrent Jésus d’un cœur si léger. Il fut l’idéal de ce qu’on appelait un sadducéen, je veux dire de ces gens riches, sans fanatisme, sans croyance d’aucune sorte en l’avenir, attachés au culte du temple qui faisait leur fortune, furieux contre les fanatiques et toujours enchantés quand on les mettait à mort. On a souvent cherché à prouver que la philosophie de l’auteur porte la trace d’une influence de la philosophie grecque. Rien n’est moins certain. Tout absolument s’explique dans le livre par le développement logique de la pensée juive. L’auteur est très probablement postérieur à Épicure ; il semble bien cependant qu’il n’avait pas reçu d’éducation hellénique. Son style est sémitique au premier chef. Dans toute sa langue, pas un mot grec, pas un hellénisme caractérisé[1]. D’un autre côté, il est loin de pousser aussi loin qu’Épicure la radicale négation de la Providence et le principe de l’insouciance des dieux à l’égard des choses humaines. Sa physique est assez saine ; mais elle résulte bien plutôt, comme celle de Thalès et d’Héraclite, d’observations générales très justes, que d’un travail vraiment scientifique à la façon d’Archimède ou de l’école d’Alexandrie.

Sa morale de juste milieu a sûrement des analogues en Grèce, à Cyrène surtout. Il côtoie sans cesse Théodore de Cyrène[2], sans s’arrêter à ses assertions franchement irréligieuses. Aristippe de Cyrène reconnaîtrait à beaucoup d’égards son confrère dans ce juif

  1. Aucun des exemples allégués par M. Grætz ne me paraît décisif.
  2. Diogène Laërte, II, 86 ; VI, 97.