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vivre complètement en recluse, — ne vous effrayez pas par avance, — mais où vous ne serez entourée que de bons exemples. Vous y attendrez que votre enfant ait grandi. À ce prix, j’assurerai son avenir et le vôtre. Le voulez-vous ?

— J’obéirai, madame.

En disant ces mots, la jeune femme pressait contre son cœur la dernière lettre d’Armand, comme pour y puiser la force de pousser la dissimulation jusqu’au bout.

Jeanne, en effet, n’était résignée qu’en apparence. Convaincue que son amant la récompenserait un jour de son sacrifice, elle ne songeait qu’à tromper sa bienfaitrice une dernière fois.

Un mois plus tard, complètement remise de ses couches, la jeune mère entrait au couvent de la Visitation, à Douai, et son fils était mis en nourrice chez une brave paysanne des environs de Reims.

Mme de Serville avait fait précéder Mlle Reboul de recommandations si pressantes auprès de la supérieure de l’institution, qu’elle avait été reçue à bras ouverts. Sa protectrice s’était fait un devoir de ne pas dire un mot de sa faute.

Elle l’avait présentée comme une jeune fille qu’elle avait élevée, qu’elle aimait beaucoup et qui, ne pouvant espérer trouver dans le monde une situation en rapport avec son éducation, se décidait, aussi bien par raison que par goût, à se vouer à l’instruction.

Moins d’un mois après son entrée au couvent, Jeanne était adorée de tout le monde, des religieuses aussi bien que des élèves, et la supérieure écrivait à Mme de Serville pour la remercier de lui avoir donné un pareil trésor.

Les mères de quelques pensionnaires avaient pris elles-mêmes la jeune institutrice en si grande affection qu’elles l’emmenaient de temps en temps dans leurs familles, ce qui permettait à Mlle Reboul de recevoir aisément des lettres d Armand et de lui répondre.

Plus d’une année s’écoula ainsi, et Jeanne, encouragée par son amant, luttait avec une grande énergie contre le calme et les déboires de sa situation, lorsque la supérieure l’appela un jour pour lui apprendre, avec les plus affectueux ménagements, que Mme de Serville était gravement malade.

À cette nouvelle la physionomie de la jeune fille se décomposa tellement que la religieuse en fut effrayée.

Mlle Reboul était devenue livide ; elle pouvait à peine se soutenir : on eût dit qu’elle allait se trouver mal.

C’est que, pour dissimuler l’horrible satisfaction qu’elle éprouvait de savoir Mme de Serville en danger, Jeanne avait dû faire un effort suprême ; c’est que, pour étouffer l’odieuse joie qui gonflait son cœur, elle devait en comprimer les battements.

La mort de sa bienfaitrice était, pour l’ingrate, la liberté.

La mère morte, est-ce que le fils ne reviendrait pas immédiatement à la maîtresse ?

Voilà ce qui se passait dans cette âme que la supérieure de la Visitation pensait envahie seulement par la douleur.