Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/97

Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Laissons passer les mauvais jours et conserve-moi ton cœur ; le mien est à toi tout entier. Tiens-moi au courant des moindres événements de ta vie. Au moment où tu deviendras mère, mon âme sera à ton chevet pour soutenir la tienne, et ton enfant, mon adorée Jeanne, sera un nouveau gage de notre éternel amour. »

Armand terminait en disant à sa maîtresse où elle devait lui écrire et comment il se promettait de lui faire parvenir souvent de ses nouvelles.

Cette lettre était datée de Paris, où Mme de Serville avait envoyé son fils, sous la surveillance sévère d’un magistrat, ancien ami de son mari.

Quelques semaines plus tard, Mlle Reboul, plus heureuse en cela que bien des honnêtes femmes, c’est-à-dire presque sans souffrir, mettait au monde un fils, qu’elle fit déclarer sous son nom et avec les prénoms de Louis-Armand.

Informée de cet événement, qui s’était produit près d’un mois plus tôt qu’on ne s’y attendait, Mme de Serville, quoique fort souffrante, se rendit à Reims.

Elle était à ce point changée que Jeanne en fut frappée.

C’est que les trois mois qui s’étaient écoulés depuis la terrible découverte de la liaison de son fils avec Mlle Reboul avaient été douloureux pour la malheureuse mère.

Forcée de se séparer en même temps des deux êtres presque également aimés qui remplissaient sa vie ; contrainte de mépriser celle qui lui avait été si chère ; troublée par le remords d’avoir facilité le mal par son aveuglement : inquiète de l’avenir, car elle comprenait que l’amour d’Armand pour Jeanne s’exalterait encore en raison même des obstacles, Mme de Serville n’avait pu lutter contre le chagrin, et la souffrance physique n’avait pas tardé à se joindre en elle aux douleurs morales.

L’entretien de Mme de Serville avec Jeanne se ressentit de cet état général.

— Mademoiselle, lui dit-elle sans dureté, mais avec amertume, je viens tenir la promesse que je vous ai faite de ne pas vous abandonner, aussi bien en souvenir des années de votre jeunesse passées près de moi que par pitié pour ce petit être qui n’est pas coupable de sa naissance. Je veux me charger de lui comme je me suis jadis chargée de vous. J’espère que je n’en serai pas si cruellement punie.

— Madame… balbutia Jeanne en rougissant.

— D’ailleurs, lorsque l’heure de l’ingratitude aura sonné pour lui, je ne serai plus là depuis déjà longtemps. L’immense douleur que j’ai éprouvée m’a vieillie de vingt ans. Qu’il en soit fait selon la volonté de Dieu ! Voici ce que j’ai décidé à votre sujet ; mais je dois vous le dire : libre à vous d’accepter ou de refuser, je n’ai aucune autorité sur vous.

— Pardonnez-moi, vous avez celle que vous donnent ma reconnaissance et mon respect ; je ne suis plus digne d’ajouter : mon affection.

— Je vous remercie de me parler ainsi. Eh bien ! voici ce à quoi il faut vous résigner : à entrer à Douai dans l’institution religieuse de la Visitation ; je vous ai donné une éducation dont vos qualités naturelles, aussi bien que votre zèle, vous ont permis de profiter. La seule carrière qui vous soit ouverte me paraît l’enseignement. Consentez à vous réfugier dans cette sainte maison, où vous ne serez pas forcée de