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— Monsieur ! gémit Jeanne. Moi, qui ai pris sa défense !

Elle éclata en sanglots.

Ne pouvant se dominer plus longtemps et oubliant la présence de sa mère, Armand s’élança vers sa maîtresse dont il prit tendrement les deux mains, en murmurant à son oreille des paroles d’amour et de consolation.

Mme de Serville comprit tout instantanément, et sa physionomie devint sévère ; mais elle se contint devant son visiteur.

Celui-ci, que l’action du jeune homme n’avait pas moins éclairé, ne puisa dans le tableau qu’il avait sous les yeux que la conviction plus profonde de la culpabilité et de l’infamie de Justin Delon. Sachant, sans doute, l’amour d’Armand de Serville pour Jeanne Reboul, le lâche avait voulu s’en créer une arme pour se défendre.

Comprenant alors qu’il n’avait plus rien à faire au château, le magistrat s’excusa, en homme du monde, du trouble provoqué par sa démarche, et il se retira en saluant Mme de Serville et la jeune fille.

Restée calme en apparence, la mère d’Armand avait reconduit le juge d’instruction jusqu’au grand escalier, ce qui avait permis à Jeanne de dire à son amant avec un accent de doux reproche :

— Qu’avez-vous fait, mon ami ? Vous vous êtes trahi ; je suis perdue !

— Non, ma bien-année, ne crains rien, répondit le jeune homme. L’événement qui vient de tout brusquer est fort heureux, au contraire. D’ailleurs, quoi qu’il arrive, je le jure que rien ne nous séparera.

Il avait scellé ce serment d’un baiser.

À ce moment Mme de Serville rouvrit la porte. Son fils s’élança vers elle.

D’un geste rempli de dignité, elle l’arrêta et lui dit :

— Je n’ai pas besoin de vos aveux ; vous avez agi de façon à me faire tout comprendre. Suivez-moi, il faut que je vous parle immédiatement.

— Madame ! supplia la jeune fille.

— Nous nous reverrons, mademoiselle ; seulement alors je saurai si je dois vous pardonner.

Et, faisant passer Armand le premier, Mme de Serville sortit.

Quelques minutes après, la mère et le fils étaient seuls dans un petit salon.

Ils n’avaient pas échangé une parole depuis la chambre de Jeanne.

L’excellente femme semblait douloureusement émue.

— Armand, dit-elle, j’exige de vous toute la vérité.

— Vous allez la savoir, ma mère, répondit vivement l’amoureux ; elle se résume, d’ailleurs, en un mot : j’aime Mlle Reboul.

— Elle vous aime ?

— J’en suis certain !

— C’est ma faute, et je ne saurais vous faire de trop vifs reproches, à vous sur-