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— Alors vous persistez à affirmer que c’est uniquement pour cette demoiselle Reboul que vous vous êtes glissé jusqu’à la salle à manger, car c’est dans la salle à manger que M. de Serville vous a surpris.

— Oui, je l’affirme.

— Prenez garde, le moyen que vous employez là n’est pas nouveau. Bien des gens dans votre situation l’ont tenté, et ils n’y ont gagné qu’une plus grande sévérité de la justice, car on a aisément prouvé qu’à un crime, ils ajoutaient une lâche calomnie contre une femme.

Le juge d’instruction, qui avait prononcé ces mots sévèrement, fixait le prisonnier avec plus de mépris encore que lorsqu’il ne lui avait parlé que du vol dont il le croyait coupable.

— Je dis la vérité, monsieur, reprit Delon. J’oubliais une preuve, c’est la clef du parc, car je n’ai pas escaladé les murs de l’habitation. Cette clef, Mlle Reboul me l’a donnée jadis.

— En effet, on a trouvé sur vous cette clef ; mais il se peut que vous l’ayez prise vous-même lorsque vous étiez employé au château, dans un but étranger à Mlle Reboul, puisqu’à cette époque elle n’y était pas. De sorte que cette clef, au lieu d’être une preuve de votre innocence, deviendrait l’élément de la circonstance aggravante de préméditation.

— C’est à en perdre la raison ! Interrogez au moins Mlle Reboul.

— C’est mon intention et mon devoir.

Et après avoir fait reconduire Justin en prison, le magistrat envoya le soir même à la Marnière, à l’adresse de Mlle Reboul, une invitation à se présenter à son cabinet le surlendemain.

— Le lâche a parlé, murmura Jeanne, en lisant la citation ; je devais le prévoir. Que faire ? Je ne puis pas cependant me trouver en face de lui.

C’est dans son lit que la maîtresse d’Armand faisait cette réflexion ; car, pressentant les révélations de Justin, elle s’était dite par avance malade, afin de pouvoir éviter une confrontation qui l’épouvantait, malgré toute son impudence.

Du reste, elle souffrait réellement, grâce aux efforts qu’elle faisait pour dissimuler sa grossesse ; Mme de Serville insistait depuis longtemps pour qu’elle consultât le médecin du château.

C’est pour la prier affectueusement de ne pas hésiter davantage à se soigner que la mère d’Armand entra dans sa chambre, peu d’instants après l’arrivée de la citation.

— Tenez, madame, dit la jeune fille, en lui donnant la lettre du juge d’instruction, voici ce que je viens de recevoir. Que dois-je faire ?

— Vous n’irez certainement pas à Laon, ma chère enfant, répondit Mme de Serville, après s’être rendu compte de ce dont il s’agissait. D’ailleurs, quels renseignements pourriez-vous donner à la justice ? Je vais écrire au parquet pour faire savoir que vous êtes alitée. J’enverrai, par le même courrier, un mot à mon docteur. C’est bien d’être courageuse, mais il ne faut pas laisser s’aggraver le mal.