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À ce récit, Jeanne se sentit pâlir : elle comprit que Justin l’attendait. Cependant elle ne broncha pas.

Une demi-heure plus tard, le château s’endormait dans le plus grand silence.

Armand avait dit tendrement à sa maîtresse avant de se séparer d’elle :

— Encore un peu de courage, ma bien-aimée ; demain, j’avouerai tout à ma mère.

Elle n’avait répondu à cette promesse que par une fiévreuse étreinte et s’était dit à elle-même :

— Ah ! demain, qu’il le veuille ou non, il faudra que cette horrible situation ait un terme !

Quelques instants plus tard, redescendant au rez-de-chaussée comme pour s’assurer que tout y était bien en ordre, elle traversa la salle à manger avant de remonter dans sa chambre par l’escalier pratiqué dans la petite tourelle qui se trouvait à l’extrémité de cette pièce et formait l’un des angles de la construction générale.

Mais, étrange action pour celle qui avait la surveillance de la maison, en passant par cette salle à manger, elle y avait ouvert un des buffets et s’était emparée d’une poignée de couverts d’argent qu’elle avait cachés dans son sein.

Elle s’était élancée ensuite dans l’escalier dont elle avait, contre sa coutume, fermé la porte à clef, tandis que celles de la salle à manger et du vestibule étaient restées ouvertes.

C’était là un chemin que connaissait Justin. Il l’avait pris si souvent jadis, au milieu de la nuit, qu’il aurait pu le suivre dans les ténèbres.

Deux heures après ; au moment où le calme le plus complet régnait dans le château, Armand, qui s’était attardé en lisant, fut tout surpris de voir sa maîtresse entrer chez lui.

— Mon ami, lui dit-elle en se jetant dans ses bras, je viens d’entendre du bruit au rez-de-chaussée : j’ai peur !

Blottie derrière les rideaux de sa chambre, où elle avait conservé de la lumière comme pour prouver qu’elle veillait, la misérable avait reconnu Justin traversant le parterre.

— Chère poltronne ! répondit M. de Serville en rassurant la jeune fille par ses caresses.

Mais, se rappelant tout à coup ce froissement de feuilles sèches qui l’avait frappé pendant qu’il se promenait sur la lisière du parc, après le dîner, il se dit qu’il se pouvait bien, somme toute, qu’un voleur se fût introduit dans la maison. Alors, renvoyant Jeanne, il s’arma d’un revolver et descendit rapidement par le grand escalier.

Arrivé dans le vestibule, Armand ne put douter un instant de l’exactitude de sa supposition : il entendait des bruits de pas dans la salle à manger.

— Au voleur ! cria-t-il aussitôt.

Et, se jetant bravement en avant, il s’efforça de percer l’obscurité pour reconnaître celui ou ceux auxquels il avait affaire.