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Quelques jours plus tard, il lui glissait au doigt un anneau d’or, à l’intérieur duquel il avait fait graver son initiale, celle de Jeanne et la date du jour où elle s’était donnée à lui : 15 octobre 1850.

Pendant ce temps-là, Justin se mêlait à l’un de ces mouvements populaires dont Paris était périodiquement le théâtre depuis 1848, et l’infidèle s’étonnait de ne pas encore avoir reçu de ses nouvelles, lorsqu’un matin, en lisant les journaux à Mme de Serville, ainsi qu’elle le faisait chaque jour, après le déjeuner, elle étouffa un cri de surprise et de joie odieuse.

Parmi les condamnés par le conseil de guerre, car Paris était en état de siège, on citait Justin Delon. La justice l’avait frappé de cinq mois de prison.

Le hasard lui venait donc en aide. Son plan infâme avait réussi plus complètement encore qu’elle ne l’avait espéré.

Cinq mois s’écoulèrent, cinq mois d’ineffable amour pour Armand dont la passion était toujours la même, mais qui n’osait rien dire à sa mère, et cinq mois de cruelles angoisses pour Jeanne, qui ne dissimulait plus sa grossesse qu’au péril de la santé et de la vie de son enfant.

Mme de Serville n’avait remarqué qu’une seule chose : l’air de souffrance de sa fille adoptive, dont les traits étaient tirés et dont les yeux se creusaient ; mais elle lui avait vainement offert avec tendresse de faire venir un médecin. La jeune fille avait refusé, en affirmant qu’elle n’éprouvait aucune douleur, et la mère d’Armand, qui ne pouvait soupçonner le mal, n’avait pas insisté davantage.

Les choses en étaient là lorsqu’on annonça au château le retour de Justin Delon à la Marnière. On l’avait vu rôder autour de l’habitation ; un des domestiques croyait même qu’il l’avait aperçu dans le parc, semblant attendre quelqu’un et examiner de loin la maison.

Quand elle apprit cette nouvelle pleine de menaces, Jeanne se sentit frémir, car elle pressentait que le fils de l’instituteur allait tenter de la voir et de lui parler.

Aussi se gardait-elle de s’éloigner du parterre où elle savait que Justin n’oserait jamais se hasarder.

Ce qui l’effrayait, c’est qu’elle n’avait pas pensé, au moment où il était parti, à lui réclamer la clef de la porte qu’elle lui avait donnée elle-même, afin qu’il pût, au temps de leurs amours, la rejoindre à toute heure.

Justin avait-il conservé cette clef ? Ne s’en servirait-il pas un jour ou l’autre ?

C’était bien là, en effet, le projet de Delon, et Mlle Reboul n’en put douter lorsqu’un soir, ayant ouvert, un billet que lui avait remis le jardinier quelques instants avant le dîner, billet que, par prudence, elle n’avait pas voulu laisser entre les mains de cet homme en refusant de le prendre, elle lut avec épouvante :

« Jeanne, voilà huit jours que je m’introduis dans le parc comme un voleur et que, les yeux fixés sur votre fenêtre, je suis votre ombre.

Vous ne pouvez ignorer mon retour. Ne voulez-vous donc plus me voir ? Il faut cependant que je vous parle, que je vous dise tout ce que j’ai souffert loin de vous, combien je vous aime toujours.

« Si ce soir, à neuf heures, vous n’êtes pas venue me rejoindre dans ce massif où nous nous rencontrions si heureux autrefois, je ne pourrai croire que vous m’avez refusé cette entrevue, mais je penserai que vous n’avez pu vous rendre libre,