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ses études à Paris, et après y avoir passé quelques semaines chez un des amis de sa famille, il n’avait plus songé qu’à retourner auprès de sa mère qu’il adorait et de laquelle il était séparé depuis de longues années.

D’une imagination romanesque et ardente, les plaisirs de la grande ville ne l’avaient pas séduit ; il n’avait cessé de penser aux vieux arbres de la Marnière et s’était échappé bien vite de la fournaise pour rentrer au bercail, où il était si impatiemment attendu.

Souvent même, il s’était demandé ce qu’était devenue cette jolie fillette qui partageait ses jeux pendant son enfance. Dans une de ses dernières lettres à sa mère, il s’était informé de Jeanne.

Mme de Serville lui avait répondu que la fillette de jadis était maintenant une belle et intelligente personne qui vivait près d’elle et lui rendait, avec la plus touchante reconnaissance, de grands services.

Armand avait donc aisément reconnu sa petite amie d’autrefois dans cette ravissante jeune fille qui lui avait apparu à la grille du parc, comme l’ange de la maison venant au-devant, de lui ; et à la pensée que ce n’était peut-être pas le hasard seul qui l’avait amenée là, il s’était senti tout fier, par un mouvement d’amour-propre bien naturel dans un cœur de vingt ans.

Aussi, lorsqu’il eut répondu aux caresses de sa mère, le jeune homme jeta-t-il autour de lui un regard curieux.

Il aperçut alors Jeanne qui, se tenant discrètement à l’écart, semblait partager l’émotion maternelle de sa bienfaitrice, et Mme de Serville dit gaiement à la jeune fille :

— Approchez donc, mon enfant ; mon grand fils vous fait-il peur ?

Jeanne obéit et prit la main qu’Armand lui tendait, en disant :

— Mademoiselle, car, maintenant, il faut bien que je vous appelle ainsi, ma mère m’a écrit combien elle vous aime ; j’en suis peut-être un peu jaloux ; néanmoins, renouons vite connaissance pour redevenir bons amis comme jadis. Le voulez-vous ?

Tout cela avait été dit d’un ton naturel, mais où perçait une véritable admiration pour la beauté de Jeanne, et celle-ci remarqua que le fils de Mme de Serville ne faisait aucune allusion à leur rencontre quelques minutes auparavant. Elle en ressentit une joie immense, car c’était déjà un secret entre eux.

En voyant le jeune homme s’éloigner, sa mère à son bras, elle murmura avec un éclair de ses grands yeux :

— C’est lui qui me sauvera !

Elle avait dit vrai : moins de quinze jours plus tard, Armand était à ses genoux, lui jurant un éternel amour, et la maîtresse de Justin Delon s’abandonnait à son ancien compagnon d’enfance, comme poussée vers lui par une irrésistible passion.

Un mois après, lorsque la jeune fille avoua à son nouvel amant, et les yeux pleins de larmes, qu’elle craignait d’être enceinte, Armand la prit tendrement sur son cœur et lui dit :

— Ne t’épouvante pas, ma bien-aimée ; ma mère nous pardonnera à tous deux, et tu seras ma femme.