Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/80

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Aussi, la tête baissée, honteux de son impuissance et toujours follement épris, gardait-il de nouveau le silence.

Jeanne, pâle de colère et la lèvre dédaigneuse, le regardait d’un air de mépris.

Tout à coup, elle détourna vivement la tête : on entendait sur la route le claquement d’un fouet et le roulement précipité d’une voiture.

Laissant là son amant, elle s’élança vers la grille du parc.

Elle y arriva à temps pour voir passer, dans une berline de poste qu’entraînaient deux chevaux au galop, un jeune homme qui, après une seconde d’hésitation et de surprise, la salua, d’un bonjour joyeux.

— Armand ! murmura-t-elle ; Armand !

Et ce nom, sans doute, lui suggéra immédiatement une étrange pensée, car sa physionomie prit une expression nouvelle et elle se hâta de rejoindre Justin.

Le malheureux, adossé à un arbre, était tout aux tristes idées qu’avaient fait naître en son esprit les reproches de celle qu’il aimait.

— Écoute-moi, lui dit-elle presque affectueusement, en lui mettant la main sur le bras, ne perdons pas la tête, cela ne remédierait à rien. Nous avons du temps devant nous, il faut en profiter. Suivras-tu mes conseils ?

— Oh ! parle, parle, répondit Justin ravi d’entendre Jeanne familière et tendre comme autrefois. Ce que tu m’ordonneras, je le ferai. Je veux devenir digne de toi.

— Eh bien ! pars pour Paris : tu y as des amis ; trouve, grâce à eux, une situation honorable et lucrative ; deviens quelque chose. Aussitôt, que tu seras tiré d’affaire, j’irai te rejoindre. Seulement, hâte-toi, car dans quelques mois je ne pourrai plus dissimuler ma position.

— Partir ! gémit le fils de l’instituteur. Ne plus te voir !

— Préférerais-tu me perdre par ta présence ici ? Veux-tu qu’on me chasse avant que tu aies un asile à m’offrir ? Car tu penses bien que ton père ne me recevra pas chez lui.

— Oui, tu as raison ; il le faut ! Mais, toi, pendant ce temps, que feras-tu ?

— J’attendrai mon mari.

— Tu m’en fais le serment ?

— Je te le jure !

— Alors, adieu ! Ou plutôt non, au revoir, à bientôt !

Et le jeune homme prit sa maîtresse dans ses bras, lui donna dix baisers qu’elle lui rendit avec un empressement fiévreux, puis, s’armant de courage, il s’élança hors du parc sans oser détourner la tête.

Jeanne, qui l’avait suivi, ferma brusquement la porte derrière lui, comme si elle eût peur qu’il ne revînt sur ses pas, et, sans une pensée de regret pour celui qu’elle avait impitoyablement éloigné, elle reprit le chemin du château, la physionomie empreinte d’une inébranlable résolution.

Au moment où elle entrait dans le parterre qui s’étendait devant l’habitation, Armand sautait de voiture dans les bras de sa mère.

Mme de Serville attendait bien son fils, mais pas aussi tôt, et elle le tenait tendrement pressé sur son cœur.

Armand était à cette époque un beau garçon de vingt ans. Il venait de terminer