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qu’elle avait vu le triste avenir qui menaçait la petite Rose, elle avait voulu s’en charger, mais Méral était demeuré impitoyable.

Rose était donc restée dans la maison maudite, n’ayant pour exemple que sa sœur, qui vivait avec un ouvrier, n’entendant que les propos obscènes ou brutaux que son père échangeait journellement avec son fils, et c’est ainsi qu’elle était arrivée jusqu’à l’heure où ces deux hommes avaient un si terrible compte à rendre à la justice.

Pendant qu’on jugeait leur père et leur frère, Françoise et Rose attendaient dans leur misérable logis.

On comprend quelle était leur anxiété. Tout à coup, vers huit heures, une immense clameur s’éleva dans la rue.

— À mort ! à mort ! hurlaient mille voix furieuses.

— Au bagne, le bossu ! répétaient d’autres voix.

C’était le peuple qui, sans réfléchir que les deux filles de Méral n’étaient pas responsables du crime de leurs parents, leur apprenait cruellement l’arrêt de la cour d’assises.

Jacques Méral était condamné à la peine capitale ; son fils, dont la laideur repoussante avait peut-être ému le jury, n’était frappé, lui, que de vingt ans de travaux forcés.

Françoise prit dans ses bras sa sœur qui pleurait, plus effrayée de tous ces cris qu’émue de la nouvelle dont elle ne saisissait pas bien l’horreur, et, la nuit se passa ainsi pour celles que la loi allait faire orphelines au nom de la société.

Mais le lendemain, vers midi, au moment où Françoise, qui ne songeait pas à abandonner sa sœur, se demandait avec inquiétude de quel œil son amant allait voir la petite Rose tomber à sa charge, la porte s’ouvrit pour livrer passage à Mme de Serville.

C’était alors une femme de trente ans, restée veuve avec un fils du même âge à peu près que la plus jeune des filles Méral.

En apprenant, comme toute la ville, la condamnation des assassins, sa première pensée avait été pour cette enfant si cruellement frappée par le sort, et elle se hâtait d’arriver pour l’arracher à la misère et à la honte qui l’attendaient presque fatalement.

Mme de Serville s’était dit qu’habitant, assez loin de Reims, une grande propriété où elle vivait dans l’isolement, rien ne lui serait plus facile que d’élever l’orpheline dans l’ignorance du passé et d’en faire, en mémoire de sa mère, une honnête femme.

À la vue de la bienfaitrice dont elle avait souvent entendu prononcer le nom, Françoise, se doutant du motif de sa visite, poussa sa sœur vers elle.

La fillette ne se fit pas prier et courut au-devant du bon ange qui venait la sauver.

Quelques instants après, Mme de Serville emportait la petite Rose dans sa voiture.

Après avoir donné à Françoise une somme suffisante pour qu’elle pût s’éloigner et pourvoir à ses premiers besoins, elle lui avait fait promettre de ne jamais chercher à revoir sa sœur. La jeune fille, véritablement touchée et reconnaissante, lui en avait fait le serment.