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Le magistrat ne répondit qu’en s’agenouillant pour cacher son visage baigné de larmes sur la main déjà froide que sa femme lui tendait.

Cependant, Mme de Ferney semblait chercher quelqu’un. Du regard, elle interrogeait tout autour d’elle.

— Ah ! dit-elle tout à coup, d’une voix relativement plus forte, Mlle Reboul, où est-elle ? Appelez-la ; qu’elle vienne, je veux la voir !

On se rendit immédiatement à son désir, et Jeanne entra.

Sa pâleur seule trahissait son émotion.

Au nom de celle qu’appelait sa femme avec une telle insistance, M. de Ferney n’était pas resté maître d’un tressaillement qu’avait surpris la mourante, car un imperceptible éclair raviva ses yeux déjà voilés, et sa main glacée se retira de celui dont elle masquait aussi bien la honte que le désespoir.

Il régnait autour du lit de la malheureuse un silence que personne n’osait troubler ; on n’entendait que les sanglots étouffés des enfants.

Jeanne s’était avancée ; la sœur de charité lui avait fait place auprès de Mme de Ferney.

Celle-ci attachait ses yeux sur le visage de l’institutrice ; on eût dit qu’elle voulait lire jusqu’aux plus profonds replis de son cœur.

Mlle Reboul supportait ce regard sans affectation. Sa tenue était digne, correcte en tous points.

Les bras croisés sur la poitrine et la tête légèrement inclinée, elle semblait prendre sa part de l’immense douleur de ceux qui assistaient à cette fin prématurée d’une femme de trente ans à peine.

Elle n’était séparée de la mère de ses élèves que par leur père toujours agenouillé.

— Laissez-moi seule avec mademoiselle, dit enfin Mme de Ferney d’une voix presque ferme, en repoussant doucement son mari.

Celui-ci dressa la tête ; il était livide. Il se demandait, avec une épouvante que trahissait l’expression de son visage, ce que sa femme voulait dire en secret à celle qu’il aimait.

Il se leva, néanmoins, et, prenant le bras du docteur, fit signe à tous les assistants de le suivre.

Raoul seul refusait d’obéir. Comme s’il eût à défendre sa mère, il restait debout entre elle et Mlle Reboul.

— Toi aussi, laisse-nous, mon enfant, lui murmura-t-elle tendrement, en l’embrassant.

Raoul obéit. Mme de Ferney et la jeune fille restèrent seules.

— Approchez, mademoiselle, lui dit la mourante ; il faut que personne ne puisse m’entendre.

Jeanne Reboul s’avança jusqu’à toucher le lit.

— Mademoiselle, poursuivit alors Mme de Ferney d’une voix ferme, vous êtes la maîtresse de mon mari.

Atterrée par cette accusation subite et inattendue, Jeanne fit un pas en arrière sans répondre un seul mot.