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plus tard, lorsque, remontant dans sa chambre, elle se trouva en face de son amant, elle lui dit avec des larmes dans les yeux et dans la voix :

— Je sors de chez Mme de Ferney, Robert : veillez sur vous, car le châtiment, je le crains, commence pour nous deux.

— Que voulez-vous dire ? demanda-t-il, effrayé.

Mais Jeanne était déjà loin. La présence d’un domestique qui montait ne permit pas à M. de Ferney de la suivre.

Le soir, il tenta vainement de la rencontrer. Mlle Reboul ne quitta les enfants que pour s’enfermer impitoyablement chez elle.

Le lendemain, Mme de Ferney était au plus mal. Après avoir prévenu son mari, on courut chercher le docteur Trousseau qui la soignait. Elle avait perdu connaissance.

L’illustre praticien l’examina attentivement ; puis, attirant le magistrat dans la pièce voisine, il lui dit :

— Du courage, monsieur ! Vous dois-je la vérité tout entière ?

— Je vous en prie, répondit M. de Ferney en pâlissant.

Mme de Ferney est perdue.

— Comment, morte ?

Il fit un mouvement pour s’élancer dans l’appartement de sa femme.

— Non, reprit le docteur en l’arrêtant, elle va revenir à elle, mais je crains que ce ne soit que pour quelques heures. Si vous voulez qu’elle embrasse une dernière fois ses enfants, faites-les venir.

Le malheureux était atterré.

Cet événement, prévu cependant depuis de longs mois, mais dont son amour lui avait fait lâchement repousser la pensée pour qu’il ne s’y mêlât pas de remords, cet événement le surprenait comme s’il n’eût pas dû s’y attendre ; cependant, rappelé à lui-même par quelques douces paroles du docteur, il donna l’ordre d’aller chercher Raoul au collège et de faire descendre ses filles.

M. de Ferney n’avait pas osé prononcer le nom de Jeanne, mais celle-ci apparut au même instant, amenant Louise et Berthe qui pleuraient.

Sans lever les yeux sur l’institutrice, le père prit ses fillettes par la main.

Quelques moments après, le mari et les enfants étaient groupés autour du lit de la mourante, dont les yeux venaient de se rouvrir.

Mlle Reboul s’était arrêtée dans le vestibule où tous les domestiques étaient groupés. La porte de la chambre était restée entrebâillée.

Ce fut son fils que Mme de Ferney aperçut le premier. Elle l’appela du regard, et Raoul se précipita sur le sein de sa mère, qui eut pour ce bien-aimé une énergique et suprême étreinte.

Puis elle reconnut successivement son mari et ses enfants.

— Louise, Berthe, murmura-t-elle.

Leur père les souleva, jusqu’à la pauvre femme, dont les lèvres décolorées s’attachèrent, à leurs fronts.

Et, tendant la main à son mari, elle lui dit :

— Pardonnez-moi, Robert, les années pénibles auxquelles je vous ai condamné. Dieu sait combien j’ai souffert. Aimez-les bien tous trois !