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Moins d’un mois après l’arrivée de la famille à Paris, on eût dit qu’elle habitait l’hôtel de Rifay depuis plusieurs années, tant chacun de ses membres s’y était promptement acclimaté.

M. de Ferney avait pris ses fonctions au Palais ; il s’était assuré des soins d’un docteur des plus habiles ; son fils suivait les cours du collège Louis-le-Grand, et ses filles continuaient leur éducation sous la direction de Mlle Reboul.

L’hiver se passa de la façon la plus calme, mais le mieux qui s’était manifesté dans l’état de Mme de Ferney, à l’époque de son départ de Douai, ne se confirma pas. La malade, au contraire, recommença bientôt à s’affaiblir graduellement, et le médecin qui la soignait ne tarda pas à avoir des craintes sérieuses.

Il les communiqua à M. de Ferney, dont l’esprit un moment rasséréné par l’espérance s’assombrit de nouveau.

Chargé d’affaires importantes, il s’y donna tout entier, avec l’ardeur de l’homme qui cherche dans la fatigue l’oubli qu’il ne veut pas demander aux plaisirs ; mais sa femme comprit bientôt ce que son mari lui cachait.

La malheureuse sentit renaître alors, plus violentes et plus douloureuses que jamais, ses terreurs et sa jalousie.

Non pas, certes, que rien dans la façon d’être de Mlle Reboul fût de nature à provoquer les soupçons, pût permettre de l’accuser de coquetterie ; seulement, la jeune fille s’était étrangement transformée depuis son arrivée à Paris. On eût dit que, de même que certaines fleurs s’épanouissent en un jour sous certains climats, de même la beauté de Jeanne devait briller de tout son éclat dans l’atmosphère parisienne.

Mme de Ferney le remarqua la première et le magistrat lui-même en fut un jour tellement frappé qu’il ne put réprimer un mouvement de surprise, nous devrions dire un mouvement d’admiration, qui lui fit arrêter ses regards sur l’institutrice plus longuement que cela ne lui était jamais arrivé.

Mlle Reboul était loin cependant de chercher à éveiller l’attention du père de ses élèves. Lorsque, par hasard, elle se rencontrait seule avec lui dans la maison, elle saluait et passait rapidement ; si M. de Ferney l’interrogeait à table, elle répondait avec calme, sans hésitation, sans manœuvres de coquetterie, en femme seulement soucieuse de ses devoirs.

On arriva ainsi aux premiers jours du printemps.

La malade n’allait pas mieux ; c’est à peine si elle pouvait, avec le secours d’un bras, se transporter jusqu’à la salle à manger.

C’était souvent l’institutrice qui lui venait en aide, et cela avec un si respectueux empressement, une bonne grâce si pleine de tact, que Mme de Ferney n’osait refuser cette assistance, quoiqu’elle lui fût instinctivement odieuse.

C’est que Jeanne était une de ces charmeresses devant lesquelles plient les plus énergiques résolutions ; c’est que tout en elle attirait, quelles que fussent les révoltes de la raison et l’empire sur les sens.

Un soir du mois de mai, après le dîner, la jeune fille était remontée avec ses élèves dans la galerie, où, pour les distraire jusqu’à l’heure du coucher, elle feuilletait de grands albums dont elle ne tournait les pages que lorsque Berthe avait à peu près lu la légende explicative qui accompagnait chaque gravure.