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ses lèvres se collèrent sur le front du mort et elle roula avec lui sur le sable, en jetant un cri rauque et en le pressant contre son cœur.

Dieu n’avait pas voulu que Jeanne Reboul fût inconsciente de son crime ; il lui avait donné un éclair de mémoire et de raison pour qu’elle comprît bien que c’était elle-même, la marâtre, qui, après avoir abandonné son enfant, l’avait fait fusiller sous ses yeux.

Les soldats qui avaient procédé à cette exécution sommaire s’étaient retirés, effrayés de l’œuvre qu’ils avaient accomplie.

Quelques heures plus tard, l’hôtel de l’avenue de La Tour-Maubourg était le théâtre d’une scène d’une tout autre nature, mais non moins dramatique.

L’aide de camp auquel s’était adressée Mlle Dutan avait ramené de Versailles Mme de Rennepont, et bien qu’on ne lui eut pas caché la gravité de la blessure reçue par son mari, elle était épouvantée de la rapidité avec laquelle le mal avait marché.

Le général s’affaiblissait visiblement ; ses instants étaient comptés.

Il avait cependant reconnu sa femme, qui s’était agenouillée près de lui, et il s’efforçait de lui donner du courage.

Marie se tenait debout au chevet du mourant.

Soudain, le visage de M. de Rennepont s’illumina d’une joie ineffable, ses yeux se fixèrent avec douceur vers la porte ouverte de la pièce où il se trouvait, et il fit un mouvement pour tendre la main.

La comédienne et Fernande, qui s’étaient retournées, étouffèrent un cri de surprise en apercevant M. de Serville.

Après s’être enfui de la prison de la Santé avec les autres détenus, malgré Justin Delon qui avait été tué dans cette lutte suprême, il avait couru chez Mme de Rennepont, d’où, ne l’ayant pas trouvée, il avait gagné rapidement l’avenue de La Tour-Maubourg.

En reconnaissant le général pâle et mourant, il avait eu un moment d’hésitation, car bien qu’il eût été rassuré par un mot de Marie sur le sort des lettres qui lui avaient été volées, le peintre ne se sentait pas moins coupable envers son vieil ami, mais il ne put résister à l’appel muet de M. de Rennepont, et il se précipita vers la main déjà glacée qu’il lui tendait.

— C’est à Dieu que je dois votre arrivée, mon cher Armand, murmura le général avec fermeté, malgré sa faiblesse ; maintenant, je puis mourir ; je sais que Fernande ne sera pas seule. C’est la plus sainte et la plus pure des femmes : je vous la confie. Qu’elle reste votre sœur, si vous ne pouvez l’aimer. Mais vous l’aimerez un jour, parce qu’elle est digne d’un galant homme tel que vous !

Et attirant jusqu’à ses lèvres le front de sa femme, M. de Rennepont ajouta d’une voix éteinte :

— Vous avez été pour moi une douce et honnête compagne ; merci ! Si Dieu veut entendre la dernière prière d’un soldat qui meurt pour son pays, qu’il fasse de vous une épouse heureuse !

En disant ces mots, il prit la main d’Armand, la plaça dans celle de Fernande que l’émotion brisait et, fermant les yeux, il se renversa en arrière en poussant un soupir.