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Le général, dont les souffrances étaient atroces, ouvrit les yeux et répondit d’une voix éteinte :

— Oui, c’est moi, ma chère enfant. Dieu vous envoie ! Je suis perdu, je le sens, et je voudrais embrasser ma femme une dernière fois. Elle est à Versailles. Qu’on aille la chercher, je vous en conjure !

Au regard que lui jeta le chirurgien qui soignait le blessé, l’ambulancière comprit que le vieux soldat ne disait que trop vrai. Elle s’élança dehors pour satisfaire à son désir.

Quelques minutes après, un aide de camp de M. de Rennepont partait bride abattue.

La jeune femme allait rentrer dans l’hôtel, lorsqu’elle s’entendit appeler.

— Vous ! dit-elle, en reconnaissant Louis dans l’individu qui lui parlait. Prenez garde, malheureux !

C’était, en effet, le neveu de la Fismoise, non plus gouailleur et cynique comme nous l’avons vu si souvent, mais pâle et tremblant. Il s’était débarrassé de son képi et avait passé par-dessus sa tunique une longue blouse blanche, en s’échappant des rangs de son bataillon qui, de l’École Militaire, se repliait vers le centre de Paris.

— Hélas ! oui, mademoiselle, répondit-il d’une voix dolente, on m’a enrégimenté malgré moi, et comme je ne tiens pas à me battre contre les Versaillais, je me suis enfui. Sauvez-moi ! Je ne veux pas aller du côté de l’Hôtel de Ville, et si je suis reconnu dans ce quartier, je suis perdu !

La vérité, c’est que le jeune misérable avait quitté son bataillon avec l’intention de se réfugier chez sa tante, et que, seule, la difficulté de traverser Paris l’avait conduit devant l’hôtel Bibesco.

Marie cherchait le moyen d’arracher le malheureux au danger qui le menaçait, et, se souvenant du service qu’il lui avait rendu, un peu contraint, il est vrai, dans l’affaire des lettres, elle allait se décider à lui donner asile dans l’hôtel, lorsque le fils de la Louve, comme s’il lui venait tout à coup une inspiration subite, salua brusquement du geste l’ambulancière et s’élança en courant du côté des Champs-Élysées.

Cinq minutes, après, il était au rond-point.

Là, il se jeta dans la rue Montaigne, prit la rue de Ponthieu qu’il remonta dans toute sa longueur et gagna le faubourg Saint-Honoré, qu’il traversa sous la grêle de mitraille que les canons de Montmartre envoyaient dans ce quartier.

Parvenu au coin de la rue de Monceau, il se crut sauvé et il respira un instant, mais aussitôt il reprit sa course folle.

Une compagnie de soldats de Versailles descendait le faubourg. On l’avait aperçu et quelques hommes s’étaient mis à sa poursuite.

En un seul bond, pour ainsi dire, et malgré les balles qu’il entendait siffler à ses oreilles, il atteignit une porte cochère, celle de l’hôtel de la comtesse Iwacheff, à laquelle il sonna d’une façon convulsive.

On lui ouvrit, il entra et ferma brusquement la porte derrière lui ; puis, échappant au concierge, qui voulait l’arrêter au passage, il s’élança sur le perron et, de là, au premier étage de la maison, en murmurant :