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docteur, qui s’était bien gardé de lui faire mauvais visage dans la crainte de se compromettre encore davantage, elle continuait à soigner et à consoler les malades avec le brave Philidor, qu’elle avait fait admettre comme auxiliaire par le capitaine Raab, le représentant du prince Georges.

Il ne manquait à ce rendez-vous de charité que la générale de Rennepont, mais elle avait pu se réfugier à Versailles, peu de jours après la mort de Méral.

Quant à Louis, incorporé de force dans l’un des bataillons des fédérés, il n’avait plus reparu depuis plusieurs semaines.

Les choses en étaient là, lorsque le 23 mai, en arrivant à neuf heures du matin à l’avenue de La Tour-Maubourg, Marie trouva l’ambulance dans une situation toute nouvelle. L’armée de Versailles étant entrée dans Paris, l’hôtel Bibesco donnait asile en même temps aux blessés de l’insurrection et à ceux des troupes régulières.

Le capitaine Raab avait voulu qu’il en fût ainsi, certain qu’il était d’être approuvé par le prince dans cette œuvre de véritable philanthropie.

L’énergique officier avait tout pris sur lui, et le service était organisé militairement, de façon à éviter un conflit que le contact des insurgés et des soldats de l’ordre eût rendu imminent et terrible, vu l’état effrayant d’exaltation qui existait des deux côtés.

À chacune des extrémités de la galerie vitrée qui réunit les deux ailes de l’hôtel, le capitaine avait placé un factionnaire, l’un fédéré, l’autre de l’armée régulière, et ces hommes avaient ordre de ne laisser passer qui que ce fût, sauf les prêtres, les médecins et les gens de service de l’ambulance.

Il n’y avait, dans l’hôtel, ni révoltés ni combattants, mais seulement des blessés auxquels les mêmes soins étaient dus.

De plus, comme le capitaine Raab ne voulait pas que le séjour, même momentané, dans l’hôtel, devînt un danger, il avait signifié que nul n’en pourrait sortir en uniforme, ni en armes, et il avait installé un magasin d’habillement, afin que ceux des fédérés qui étaient guéris pussent s’en aller sans courir le risque d’être fusillés.

À ceux, au contraire, qui, forcés par leur état de demeurer à l’ambulance, craignaient d’être trahis et livrés, il avait engagé sa parole de soldat. De plus, tous les soirs, il leur donnait comme otages sa femme et sa fille.

Était-il possible de mieux comprendre et de mieux remplir, en ces heures d’affolement et de représailles, les devoirs les plus sacrés de l’humanité ?

Ce fait était ignoré ; nous nous applaudissons de pouvoir le livrer à la publicité.

Reprenons maintenant notre récit, en pénétrant dans l’hôtel Bibesco en même temps que Marie, le matin de cette terrible journée du 23 mai.

Au moment où la jeune femme y entrait, l’ambulance était pleine ; les blessés des deux partis y affluaient incessamment, et il se passait, dans l’une des pièces réservées aux soldats de Versailles, une scène navrante. On venait d’y coucher, sur un matelas étendu à terre, un général qui avait l’épaule gauche fracassée par un éclat d’obus.

Un des médecins lui faisait un premier pansement, mais ce n’était pas le docteur Harris.

— Monsieur de Rennepont ! s’écria la comédienne, en reconnaissant le mari de Fernande et en se précipitant vers lui.