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— Oui, c’est cela ! s’écria-t-elle. Je lui dirai qu’il faut sauver M. de Serville, et il se dévouera comme je suis, moi, prête à me dévouer. Comment n’y ai-je pas songé tout de suite ! Pourvu que je le trouve !

Elle se coiffa rapidement et sortit pour descendre à pied jusqu’à la rue Laffitte.

Arrivée au no 47, dont la porte était surmontée d’un panonceau, elle demanda au concierge :

M. Philidor est-il à l’étude ?

— Oui, madame, lui répondit cet homme ; heureusement pour l’étude, car…

Sans en écouter davantage, la jeune femme monta au premier et sonna.

On lui ouvrit immédiatement ; elle traversa l’antichambre et pénétra dans une pièce dont la porte était ouverte et où elle aperçut, accoudé sur une table, celui qu’elle venait chercher.

— Monsieur Philidor ? dit-elle, en relevant son voile.

Le travailleur leva la tête et s’écria :

— Vous, Marie, vous ! Pardon, madame !

— Oh ! appelez-moi Marie, mon bon Philidor, comme autrefois. J’ai besoin de vous. Il faut m’aider à sauver M. Armand de Serville.

Elle avait tendu à l’ancien clerc de Marius Pergous une main que le brave garçon serrait timidement dans les siennes.

Philidor n’était plus le pauvre diable long, maigre, famélique, que l’agent d’affaires avait tenu si longtemps sous son autorité aussi grotesque que despotique.

La souffrance en avait fait un homme ; son esprit s’était ouvert aux luttes de la vie ; son amour pour Marie Dutan, demeuré le même que jadis, l’avait éloigné des milieux mauvais ; il s’était efforcé de travailler pour oublier, et il était rapidement devenu pour Me Labbé, l’officier ministériel chez qui l’avait fait entrer M. de Serville, le plus précieux auxiliaire.

Marie savait tout cela, car elle ne l’avait pas absolument perdu de vue. Il lui était même arrivé parfois de le rencontrer et de lui adresser un sourire affectueux, ce qui le comblait de joie, tout en rouvrant sa blessure à demi fermée.

Des années s’étaient passées ainsi, lorsque, la guerre ayant éclaté, le clerc de Me Labbé avait payé sa dette en prenant place dans un des bataillons de la garde nationale, et, pendant le siège, il avait souvent entendu parler de la jolie ambulancière de l’hôtel Bibesco.

S’il avait été certain d’y être transporté, Philidor eût été capable de quelque acte d’héroïsme pour se faire blesser, eût-il dû risquer sa vie.

On conçoit donc avec quelle joie il voyait apparaître tout à coup celle qu’il adorait toujours, et avec quel enthousiasme il lui répondit, lorsque l’émotion ne l’empêcha plus de parler :

— Sauver M. de Serville ! Quel danger court-il donc ? Ma vie ne lui appartient-elle pas ainsi qu’à vous !