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— Que dites-vous là, monsieur ?

— Ce qui n’est que trop vrai. Je voulais bien me débarrasser d’elle, mais non point au prix d’un assassinat, car voilà le résultat de ta lettre à M. de Serville. Il a couru après Mlle Bernier, l’a trouvée chez la comtesse Iwacheff, et comme, au moment même, l’hôtel a été envahi, il a voulu défendre ces deux femmes, et Sarah a été tuée par l’officier qui commandait les fédérés, un affreux bossu du nom de Pierre.

— Vous dites ?

— Un affreux bossu du nom de Pierre.

— Sapristi ! c’est mon oncle ! murmura Louis en devenant tout pâle ; que le diable l’emporte !

— Qu’as-tu donc à ton tour ? fit Gaston,

— Rien, répondit le chenapan ; je suis tout simplement abruti de ce que vous me racontez là.

La vérité est qu’il était épouvanté. Il sentait déjà le forçat à ses trousses, et, sans chercher à s’expliquer comment son oncle était devenu subitement officier de fédérés, ni pourquoi il s’était introduit chez la comtesse Iwacheff, il ne voyait qu’une chose : qu’il était vivant ; il n’en craignait qu’une autre : qu’il cherchât à se venger de lui comme il s’était vengé de Sarah Bernier.

— Tu comprends, reprit le baron en arrachant le neveu de la Fismoise à ses réflexions, que j’ai maintenant une raison de plus pour quitter Paris sans retard. Que t’a dit Mme de Fressantel ?

Mme de Fressantel est prête à partir demain.

— Mes malles sont-elles faites ?

— À peu près ; tout sera bientôt fini.

— Alors nous prendrons le premier train, celui de neuf heures, demain matin, à la gare du Nord. J’irai prévenir ma tante ce soir.

— C’est entendu, monsieur ; seulement j’ai à faire ce soir une course fort importante.

— Ah ! où cela ?

— Je le dirai plus tard à monsieur ; mais si je ne le revois pas aujourd’hui, il peut être certain que ce n’est pas moi qui le retarderai. Je serai ici de bonne heure.

Le fait est que Louis ne tenait pas moins que son maître à s’éloigner ; il y tenait même davantage, pour les raisons que nous venons de dire ; seulement, comme c’était un garçon absolument pratique, la terreur qu’il avait de Pierre ne lui faisait rien abandonner de ce qu’il avait arrêté dans son esprit à l’égard de Mme de Fressantel, et il avait à voir son excellente tante, pour la prier de l’aider dans l’exécution de son projet.