Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/543

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Sans hésiter, elle gravit l’escalier et sonna.

On lui ouvrit aussitôt et, à la vue du domestique de Gaston, elle réprima un mouvement involontaire de stupeur.

Bien qu’elle ne l’eût vu que deux fois rue d’Assas, la première devant l’hôtel d’Armand, le jour où elle y était allée avec Mme de Rennepont pour retrouver le général, et la seconde le lendemain, alors qu’il était installé dans la maison, elle reconnut de suite le faux marin qui s’était introduit chez M. de Serville sous le nom et le costume du neveu de Kervan, c’est-à-dire le voleur des lettres de la générale et le complice de la tentative d’assassinat dont le peintre avait été l’objet.

Pleine de résolution et d’énergie, elle eut d’abord la pensée de refermer vivement la porte derrière elle et d’exiger du misérable l’aveu de son crime ; mais elle réfléchit que Louis n’était peut-être pas seul dans l’appartement ; qu’un acte de violence pourrait, de plus, ne rien lui apprendre de ce qu’il lui importait tant de savoir, et elle se contint pour lui demander simplement si M. de Fressantel était chez lui.

— Non, madame, répondit le neveu de la Fismoise, monsieur vient de sortir. Je ne pense pas qu’il rentre avant ce soir, fort tard.

C’était bien la voix du faux Jean-Marie Kervan ; aucun doute n’était plus possible.

— Si madame veut laisser sa carte ou dire son nom ? reprit le valet de chambre.

— Non, c’est inutile. J’écrirai à M. de Fressantel.

Et, retenant soigneusement sa voilette sur son visage, elle se hâta de regagner sa voiture, dans laquelle elle monta en donnant l’ordre de la conduire rue de La Bruyère, où elle demeurait.

Louis, que la visite de la jeune femme n’avait pas autrement préoccupé, continuait pendant ce temps-là à préparer les bagages de son maître, car celui-ci, grâce au sauf-conduit que lui avait procuré du Charmil, espérait bien quitter Paris en même temps que sa tante, par le chemin de fer du Nord, et ne pas en être réduit à se grimer, à se laisser glisser du haut des remparts, ou à s’échapper par les égouts, ainsi que le projetaient quelques-uns de ses amis aux abois.

La Commune venait, en effet, de décréter que tous les hommes de vingt à trente-cinq ans feraient partie des régiments de marche, et ces innombrables inutiles, que les débuts du mouvement insurrectionnel avaient si fort égayés, ne riaient plus. Ils en comprenaient enfin les dangers ; mais, au lieu de se grouper pour les combattre, ils ne songeaient qu’à la fuite.

Le jeune valet de chambre fut tout à coup surpris au milieu de ses emballages par la rentrée de son maître, qu’il n’attendait pas aussi tôt.

M. de Fressantel était pâle et défait, au point que son domestique s’en aperçut immédiatement et lui demanda ce qui lui était arrivé,

— Il m’est arrivé que tu as fait tuer Sarah, lui répondit sèchement le baron.