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doublée de satin cramoisi ; délicieusement coiffée déjà, quoiqu’il fût onze heures à peine, laissant tomber sur ses épaules les épaisses nattes de ses beaux cheveux blonds, richesse que la maladie ne lui avait pas enlevée, les pommettes et les lèvres légèrement fardées, on eût dît, à quelques pas de distance, une jeune et jolie accouchée à laquelle il ne manquait de la vie que ce qu’elle venait d’en donner à son nouveau-né.

Elle accueillit Mlle Reboul avec un sourire auquel celle-ci répondit par un respectueux mouvement de tête, en prenant place sur le siège qui lui était offert du geste ; puis la maîtresse de maison et la jeune institutrice gardèrent le silence pendant quelques secondes.

Entre deux femmes qui se rencontrent pour la première fois, quels que soient d’ailleurs les sentiments qui les animent, il y a toujours quelque chose d’adversaires qui se préparent au combat ; on dirait que chacune cherche chez l’autre le défaut de la cuirasse.

La présentation faite, M. de Ferney s’était retiré.

Après quelques instants de silence, ce fut la jeune mère qui, la première, prit la parole.

— Mademoiselle, dit-elle, excusez-moi de vous recevoir ainsi, mais j’ai moins de force que de courage, cela depuis déjà de longues années. Ma santé, hélas ! est tout à fait perdue !

— Je sais, madame, que vous êtes souffrante et je ne me pardonnerais pas de vous causer la moindre fatigue, répondit Jeanne, de sa plus douce voix.

— Mon mari m’a dit tout le bien qu’il pense de vous, et vous êtes venue d’ailleurs avec une lettre de recommandation d’une sainte femme dans laquelle j’ai entière confiance. Votre physionomie me plaît beaucoup ; je crois donc que nous nous entendrons à merveille ; cela ne dépendra que de vous.

— Je le désire vivement, madame, et je l’espère.

— Avant tout, pour en finir de suite avec une question qu’il faut bien traiter, mais qu’il est moins pénible de résoudre entre nous : je vous donnerai deux mille quatre cents francs par an. Cela vous convient-il ?

— Parfaitement, madame.

— Lorsque nous serons à Paris, je verrai à vous installer de façon à ce que vous ne soyez pas trop mal, et, sauf de rares exceptions, c’est-à-dire lorsque les enfants ne pourront prendre place à table, les jours de dîners officiels, par exemple, dîners auxquels je m’abstiendrai d’ailleurs moi-même d’assister, car ma santé ne me permet d’être d’aucune fête, sauf ces exceptions, vous partagerez nos repas de famille.

Jeanne s’inclina pour acquiescer à ces dispositions.

— Il ne me reste plus, poursuivit Mme de Ferney, qu’à vous présenter vos élèves. Ce sont de charmantes fillettes qui ne m’ont jamais quittée ; je n’ai pas besoin de vous dire combien je les adore. L’amour d’une mère croît presque toujours en raison directe de l’impossibilité où elle se trouve de prouver sa tendresse. De mon fils Raoul, vous n’aurez pas à vous occuper, son père a l’intention de lui faire suivre les classes d’un lycée ; seules, mes chères Louise et Berthe seront confiées à vos soins. Je ne tiens que médiocrement à ce qu’elles apprennent beaucoup et vite ; ce que je désire surtout pour elles, c’est une éducation chrétienne, c’est qu’elles devien-