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maison de sa maîtresse, mais cette fille ne savait rien que des noms qui ne pouvaient enseigner grand-chose à Armand.

Il s’étonna, cependant, d’apprendre que le docteur Harris était venu plusieurs fois, mais il mit ces visites sur le compte de la curiosité malsaine qui pousse si souvent les étrangers à fréquenter à Paris certains salons.

Quant à M. de Fressantel, il savait depuis longtemps ses relations avec Sarah, — leurs amours avaient fait grand bruit, — et il lui répugnait tout naturellement de s’adresser à cet homme qu’il croyait d’ailleurs incapable, malgré son existence orageuse, de s’être fait le complice d’une infamie.

La mort dans l’âme, voyant toutes ses espérances s’enfuir une à une, il résolut alors de consulter Marie Dutan.

Il sentait qu’il était indispensable que Mme de Rennepont fût mise au courant de ce qui se passait. Laisser plus longtemps la générale dans l’ignorance du danger qui la menaçait ne lui paraissait pas possible.

Cette détermination bien arrêtée dans son esprit, il courut à l’ambulance de l’hôtel Bibesco, dans l’espoir de rencontrer la jeune fille. Elle s’y trouvait, en effet, et s’écria en voyant M. de Serville :

— Qu’avez-vous, monsieur ? Que vous est-il donc arrivé ?

— Un grand malheur, mademoiselle, répondit Armand, en tendant la main à Harris. Au moment même où j’allais apprendre ce que sont devenues les lettres qui m’ont été volées, celle qui pouvait tout me dire a été assassinée. Elle est morte sans prononcer une parole.

— Assassinée ! répéta la jeune femme avec effroi.

— Oui, tuée devant moi d’un coup de fusil qui m’était destiné. Vous la connaissez, docteur, car cet horrible drame s’est passé il y a une heure à peine dans une maison où vous êtes souvent allé, m’a-t-on dit : chez la comtesse Iwacheff.

— C’est vrai, fit l’Américain, en affectant de rappeler ses souvenirs ; mais de qui parlez-vous ?

— De Mlle Sarah Bernier. J’avais appris que c’était à son instigation que des voleurs s’étaient introduits chez moi et qu’elle devait quitter Paris ce matin même. J’ai couru chez elle ; elle n’y était plus. Je l’ai rejointe alors chez son amie, et c’est là qu’elle a été tuée par un capitaine de fédérés qui, à la tête d’une vingtaine de soldats, avait envahi l’hôtel sous un prétexte que j’ignore. Oh ! je reconnaîtrais cet homme entre mille. C’est un hideux contrefait dont les traits ne sortiront pas de ma mémoire.

— Et la comtesse ? demanda le docteur.

— Elle est devenue folle, répondit le peintre ; je n’ai pu en obtenir aucune explication. Elle ne prononce que des mots sans suite : « Pierre, le docteur, Louis, M. de Fressantel. » Ce nom seul m’est connu et pourrait peut-être me servir de jalon, si je ne désespérais pas !