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qu’on avait demandé à Saint-Philippe-du-Roule s’était croisé avec l’un des bataillons qui se rendaient à Asnières.

Ce prêtre était un vieillard à l’œil calme et serein, au visage bienveillant.

C’était un de ces saints pasteurs qui n’ont pas voulu fuir devant la tempête, mais sont restés au milieu de l’émeute, tout à la fois pour consoler les victimes et pardonner aux combattants fratricides.

Il n’avait répondu aux grossièretés que par de douces paroles.

— Je vais auprès d’une femme qui se meurt, avait-il dit à ces hommes ; laissez-moi passer, mes enfants !

Le plus acharné des insulteurs était une jeune et jolie fille à la bouche railleuse et dont le coquet costume de vivandière faisait ressortir toute la richesse de ses formes.

Elle avait saisi le prêtre par sa soutane et criait d’une voix stridente :

— Tiens ! c’est l’oncle de mon homme ! Viens donc plutôt te battre, grand corbeau !

Mais elle eut à peine le temps de terminer sa phrase, car un des fédérés qui s’était élancé des rangs la tira brusquement à lui et la rejeta en arrière en lui disant :

— En voilà assez, Clara ; je le défends d’insulter l’abbé !

— De quoi ! hurla-t-elle avec un éclair dans les yeux et en agitant ses longs cheveux rouges qui s’étaient échappés de son képi, de quoi ! toi, Charles, tu me défends quelque chose. Tiens !

Et bondissant en avant avec une agilité de tigresse, elle atteignit le prêtre de son poing et lui cracha au visage.

L’abbé Colomb pâlit ; deux grosses larmes roulèrent sur ses joues, mais sans répondre à ce grossier outrage, il éleva son regard au ciel et croisa les bras.

Quant à Clara la Rouge, car c’était elle-même, elle avait disparu aussitôt, entraînée par des gardes nationaux que son action avait indignés et qui voulaient l’arracher à la colère de son amant.

Il était temps, d’ailleurs, que cette horrible scène cessât : M. de Serville, sans songer au danger qu’il allait courir, s’était élancé au secours du vieillard.

Au moment où il arrivait auprès de lui, Charles venait de se rapprocher du prêtre et lui disait avec tristesse :

— Pardon, mon oncle, pardon !

— Je te pardonne à toi et à elle, mon pauvre ami, répondit-il d’une voix douce et calme ; mais ce n’est là que le commencement de notre martyre. Dieu veuille que nous ne nous retrouvions pas dans des circonstances plus terribles ! Ta mère et moi, nous l’avions dit que cette fille te perdrait. Il en est temps encore, abandonne cette lutte, viens !