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car si j’étais traduit en cour d’assises, je devrais tout dire. Or, vous savez qui m’a conduit à l’hôtel de Rifay, puis ensuite envoyé à Nogent où j’ai tué Jérôme Dutan. Donc, de votre côté, je ne crains rien, et je crois, Jeanne, que nous ne nous verrons plus.

— C’est probable, répondit la comtesse d’une voix étranglée, car je compte m’éloigner demain, avec Mme Sarah Bernier.

— Vous aurez tort toutes les deux. C’est le docteur Harris qui m’a chargé de vous le dire, dans le cas où vous m’informeriez de votre départ. Si vous quittez Paris au moment où l’affaire de la rue d’Assas fait tant de bruit, ce départ semblera une véritable fuite et vous compromettra dans l’avenir.

— Je ne suis pour rien dans le drame dont vous parlez ; ce que je veux fuir, c’est l’insurrection.

— L’insurrection ! fit dédaigneusement Delon. Elle n’est à craindre, j’en ai peur, que pour ceux qui grossiront ses rangs. Que cela vous inquiète peu l’une et l’autre ; Harris saura bien vous protéger si le peuple devient maître de Paris. Adieu !

Et, comme s’il eût craint de prolonger cet entretien qui réveillait toutes ses colères, Justin sortit brusquement.

Quelques instants après, Sarah Bernier revenait chez la comtesse Iwacheff et recevait d’elle les trente mille francs de l’Américain ; puis les deux femmes, d’un commun accord, renvoyaient leur départ à quelques jours plus loin.

La comédienne s’y était décidée parce qu’une fois délivrée de sa gêne d’argent, elle s’était souvenue de ce qui l’intéressait si directement : les faits et gestes de M. de Fressantel.

Il ne s’agissait plus de quelques billets de banque, mais de cent mille livres de rente dont elle comptait bien avoir sa part.

En rentrant dans son appartement, elle y trouva Louis. Celui-ci l’informa de ce qui s’était passé depuis le matin, c’est-à-dire de sa présentation chez Gaston et de la démarche du baron auprès de sa tante.

Mme de Fressantel, en effet, n’avait pas quitté Paris, d’abord parce que ses affaires n’étaient pas terminées, et ensuite parce qu’elle était souffrante. La lettre de son neveu l’avait touchée ; elle avait accepté de nouveau ses offres de service, et il était autorisé à se représenter chez elle.

Les choses allaient donc au mieux de ce côté-là ; Louis l’affirmait avec un sourire mauvais plein de promesses.

Il fallait alors attendre patiemment et ne pas s’effrayer outre mesure des événements dont Paris devenait le théâtre.

Ni Sarah Bernier ni la comtesse Iwacheff surtout n’auraient été aussi tranquilles, si elles avaient pu lire, à ce moment même, dans l’esprit de Pierre.

Retenu au lit par sa blessure, le forçat ne songeait qu’à se venger.