Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/506

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ah çà ! ma chère, quelles singulières questions ! Est-ce que je sais, moi ? Vingt à vingt-deux ans.

— Vingt-deux ans, tu crois ?

— Peut-être même plus encore. Ces gamins de Paris, ça n’a pas d’âge. Ils naissent vieux et meurent jeunes.

Ces détails, si insignifiants, en apparence, avaient paru rassurer la comtesse. Aussi reprit-elle avec une indifférence trop subite et trop grande pour ne pas être affectée :

— Oui, finissons-en.

Puis elle murmura en aparté :

— Il est préférable que je l’interroge.

— Louis ! appela Mme Bernier, en ouvrant la porte, Louis !

Le neveu de la brocanteuse, qui attendait patiemment dans la pièce voisine, en admirant les meubles et les objets d’art, s’empressa d’entrer.

— C’est à madame que je dois remettre les poulets ? demanda-t-il tranquillement à Sarah, sans s’inquiéter du singulier regard que la Louve attachait sur lui.

— Oui, répondit la comédienne.

— Les voici, madame.

Il tendit à la comtesse les lettres que celle-ci saisit sans le quitter des yeux.

Elle courut ensuite à une chiffonnière, y prit une liasse de billets de banque, compta quinze cents francs et les remit au jeune homme, en lui disant d’une voix calme, en apparence du moins :

— Vous êtes le neveu de la Fismoise ?

— Oui, madame, fit le vaurien.

— C’est elle qui vous a élevé ?

— À peu près.

— Vous ne savez pas ce qu’est devenue votre mère ?

— Ma mère ? je n’en ai jamais entendu parler. Il est probable qu’elle est morte ou que je la gênais ; elle s’est débarrassée de moi. Je ne m’en inquiète guère !

— Vous avez aussi un oncle ?

— Oui, l’oncle Pierre, dit l’Adonis, il est rentré à Paris presque en même temps que moi. Seulement, il paraît que le pauvre homme a eu des malheurs. Son retour n’a pas eu l’air de faire le plus grand plaisir à ma tante. Où est-il ? Je n’en sais rien. Je l’ai quitté la nuit dernière dans un vilain moment. Cependant, comme c’est un malin, il est bien capable de se tirer d’affaire.