Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/502

Cette page a été validée par deux contributeurs.

C’était de l’eau-de-vie. Il en but coup sur coup plusieurs verres, en imbiba abondamment le mouchoir qui entourait sa tête, et, subitement réconforté par ce moyen violent, il eut la force de se soulever et d’atteindre la porte de la rue.

Quelques instants après, le misérable était sur le boulevard extérieur, où il procéda, à la première fontaine qu’il rencontra, à un pansement plus complet de l’horrible blessure qu’il avait reçue.

Personne ne vint le déranger ; le quartier était absolument désert.

Les sergents de ville avaient bien autre chose à faire cette nuit-là qu’à courir après les malfaiteurs.

Le gouvernement, qui se préparait à se replier devant l’insurrection, leur avait donné l’ordre de se disposer à quitter Paris, et les malheureux, dont un si grand nombre devaient devenir victimes de la haine que la Commune portait naturellement à tout ce qui représentait l’ordre et la loi, songeaient à fuir et à se cacher.

Pierre put donc se reposer tranquillement sur un banc, et lorsqu’il eut repris quelques forces, il se traîna jusqu’à la gare Montparnasse, où il trouva un fiacre qui le conduisit chez la Fismoise.

Seulement, il était temps qu’il arrivât chez la brocanteuse, car il avait perdu une si grande quantité de sang qu’il était absolument épuisé. C’est à peine s’il put descendre de voiture et frapper à la porte de l’allée.

Quand la marchande à la toilette ouvrit, elle jeta un cri d’épouvante en reconnaissant son frère dans cet homme pâle et ensanglanté ; mais le forçat ne lui répondit même pas ; il s’affaissa sur le seuil de la boutique comme une masse inerte. Pendant un instant, sa sœur le crut mort.

Elle le traîna alors jusqu’au milieu de la pièce, ferma soigneusement sa porte, et se décida à le soigner elle-même.

Se doutant bien qu’il s’était passé rue d’Assas quelque drame dans lequel son frère avait joué un rôle important, elle n’osait envoyer chercher un médecin qui n’eût pas manquer de la questionner.

Comme elle avait chez elle une espèce de pharmacie, elle commença par laver la plaie du forçat, puis elle en rejoignit les bords avec des bandes de diachylum. recouvrit le tout de linges imbibés d’arnica, et après avoir couché le moribond sur un matelas étendu à terre, elle lui glissa entre les lèvres quelques gouttes de rhum, convaincue, ainsi que le sont tous les gens du peuple, que c’était encore là le meilleur réconfortant.

Quoi qu’il en soit, grâce à ces soins et la nature aidant, le blessé ne tarda pas à revenir à lui.

Bientôt ses joues se colorèrent, sa respiration devint plus régulière et il ouvrit les yeux. Ce fut pour jeter autour de lui un regard interrogateur, comme s’il cherchait quelqu’un.

La brocanteuse s’efforçait de le comprendre, mais n’y parvenait pas.

— Louis ? finit-il par murmurer.