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M. de Ferney ne vit rien de tout cela, et lorsque la voix naturellement métallique de Mlle Reboul se fit douce et flexible pour répondre à ses questions, il ne fut charmé que de la modestie, du savoir et du bon sens de cette jeune femme, qui remplissait si bien toutes les conditions requises pour les fonctions auxquelles il la destinait.

Il l’avait questionnée sur tout ce qui touche non seulement à l’éducation des enfants, mais aussi à leur hygiène, et il n’avait pas été médiocrement surpris de ses connaissances multiples, même à l’égard de choses qu’elle aurait pu ignorer.

Mais, nous le verrons bientôt, Mlle Reboul n’avait pas fait son éducation seulement au couvent qu’elle désirait quitter ; avant d’y entrer, elle avait vécu dans un tout autre monde, et, sans anticiper sur les événements, nous pouvons dire, dès à présent, que c’était à sa dernière année chez cette Mme de Serville, sa bienfaitrice, qu’elle devait une expérience précoce, un empire absolu sur elle-même et aussi de profondes désillusions.

M. de Ferney, bien que ses fonctions eussent dû l’y pousser, n’alla pas à ce point au fond des choses. Enchanté d’avoir enfin trouvé ce qu’il désirait, il ne remonta pas aux causes probables ; il se contenta de ce que sa bonne fortune lui offrait pour lui enlever le souci de recherches nouvelles.

— Je ne vous dissimulerai pas, mademoiselle, lui dit-il, que le petit examen, — je vous demande pardon du mot, — que je viens de vous faire subir me laisse sous une excellente impression. Je ne m’étonne que d’une chose, c’est que vous vous décidiez à abandonner la vie calme du couvent pour des fonctions souvent pénibles.

— Monsieur, répondit Jeanne Reboul avec une émotion doucement contenue, je n’aurais jamais songé à m’éloigner de Douai si je n’avais pas perdu ma bienfaitrice, Mme de Serville, à laquelle je dois le peu que je suis. Lorsqu’elle m’a recueillie, il y a près de quinze ans, je n’avais plus ni père, ni mère, ni famille, et Dieu seul sait ce que je serais devenue sans cette protection qui a fait de moi, pauvre enfant abandonnée, une femme qui peut être utile.

« Tant que la généreuse Mme de Serville a vécu, j’ai été heureuse de me sentir auprès d’elle.

« Les visites que je lui faisais étaient mes rares distractions ; lui prouver mon attachement respectueux, et ma reconnaissance était mon unique but ; mais lorsque sa mort est venue me causer le seul chagrin qui pût m’atteindre, je me suis sentie dans un si grand isolement au milieu des saintes femmes dont je partageais les travaux que j’ai songé, dès ce malheur, à m’éloigner des lieux qui me rappelaient trop cruellement le seul être qui m’eût aimée et que j’eusse aimé.

— Ces sentiments vous font honneur.

— Je me permettrai d’ajouter, monsieur, que les fonctions qui m’attendent chez vous ne sauraient m’être pénibles. J’adore les enfants, et tout ce qu’on m’a dit de Mme de Ferney me fait désirer vivement de ne lui laisser que les moins fatigants de ses devoirs maternels.

— Vous savez que nous quitterons Douai incessamment pour nous installer à Paris.

— Notre supérieure me l’a dit.

— Vous n’ignorez pas non plus que j’ai deux petites filles et que Mme de Ferney est très souffrante.