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Son bilan était facile à établir : il ne possédait plus que le billet de mille francs qu’il n’avait pas eu le temps de jouer, ne pouvait s’adresser à personne, ne se sentait de goût à rien ni nul courage pour prendre une résolution énergique.

Sa maîtresse ne pourrait bien certainement lui pardonner sa ruine. D’un autre côté, il ne lui était pas possible, sans argent, de se mettre à la poursuite de Mme de Fressantel, et si la révolution éclatait à Paris, elle lui enlèverait si bien les moyens de se tirer d’affaire, que le mieux pour lui était décidément d’en finir une bonne fois.

En terminant ces réflexions, le jeune homme avait pris, dans l’un des tiroirs de son bureau, une superbe boîte de pistolets et s’était mis à charger l’une de ces armes, tranquillement, comme s’il se fût agi pour lui d’aller au tir.

Cela fait, il prit une feuille de papier à lettre et commença à écrire :


« Ma chère Sarah,

« Au moment où vous recevrez ces lignes, vous serez veuve ; seulement, moi, je m’en vais volontairement, tandis que ce pauvre Serville a été assassiné par je ne sais quel misérable ni dans quel but. Je voudrais pouvoir vous laisser un souvenir, mais… »


Au moment où le baron en était là de sa funèbre épître, un coup de sonnette le fit tressaillir.

Il se demanda d’abord s’il devait aller ouvrir ; puis, comme le noyé qui se raccroche à toutes les branches, il s’y décida, convaincu d’ailleurs que ce visiteur ne pouvait être que du Charmil et qu’après son départ, il redeviendrait libre de mettre fin à sa lettre et à sa vie.

Seulement, comme il ne voulait pas, cette fois, être détourné de son projet ainsi qu’à Londres, il ferma son bureau, afin que son ami ne pût voir l’occupation au milieu de laquelle il avait été dérangé.

Mais ce n’était pas Paul qui avait sonné ; c’était un jeune domestique en livrée, notre ami Louis lui-même, revenu à son ancienne profession, qui s’excusa poliment d’avoir troublé le maître du logis.

— Très bien ! mon garçon, fit Gaston avec impatience ; que me voulez-vous ?

— J’ai à remettre à monsieur, répondit le vaurien, une lettre de Mme Sarah Bernier.

— De Mme Bernier ! Voyons.

Il prit l’enveloppe que le neveu de la Fismoise lui présentait respectueusement.

Aux premiers mots de cette missive, M. de Fressantel demeura tout surpris.