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seule et importante raison qu’ils faisaient cesser brusquement cette partie où, peut-être, il aurait encore pu se rattraper.

— Étranger maudit ! continua-t-il, en se décidant à se lever de table.

La Louve ne revenait pas et il n’y avait plus dans les salons que les domestiques, qui attendaient avec une impatience visible que les derniers invités de leur maîtresse voulussent bien se retirer.

— C’est vrai, répondit du Charmil, ce moricaud t’a gagné tous les coups décisifs. Moi aussi, j’ai tout perdu.

— Tout ! Tu n’as plus rien des cinq mille francs ?

— Absolument ! J’ai étouffé une vingtaine de louis à peine.

— Eh bien ! nous sommes de jolis garçons ! Allons-nous-en !

Et sans s’inquiéter de ce qu’était devenue Sarah Bernier, M. de Fressantel jeta son paletot sur ses épaules, descendit l’escalier comme un homme ivre, et prit à pied le faubourg Saint-Honoré.

Il faisait grand jour, il était près de sept heures du matin, et les rues étaient si tranquilles qu’on n’eût certes pas deviné, en les traversant, qu’on se battait dans un autre quartier de Paris.

Mais en arrivant du côté du boulevard des Italiens, les deux jeunes gens ne purent douter un instant du récit de Fernand Barthet.

Non seulement ils entendaient les coups de fusil du côté de Montmartre, mais ils voyaient passer à bride abattue les courriers qui se dirigeaient vers la rive gauche, et des soldats débandés qui semblaient fuir tant ils marchaient d’un pas précipité.

Les fenêtres s’ouvraient à tous les étages, des figures bouleversées y apparaissaient, on battait le rappel, il régnait dans l’air une atmosphère toute d’inquiétude et de terreur.

— Ma foi ! qu’ils s’arrangent ! dit tout à coup Gaston à Paul en arrivant à l’angle de la rue du Helder et du boulevard, je suis brisé, je rentre me coucher.

— Non pas moi, répondit du Charmil avec un sourire mauvais. Quand on n’a plus le sou, il faut avoir au moins le courage de risquer sa peau. Va dormir, j’irai te donner des nouvelles.

Et sans attendre la réponse de son ami, il se sépara de lui pour prendre en courant la direction du faubourg Montmartre.

Quant à Gaston, après avoir suivi son compagnon des yeux pendant quelques instants, il se dirigea, la tête basse, vers son domicile.

Arrivé dans cet appartement où rien n’était plus à lui, il se jeta sur son lit et, malgré tout son chagrin, il s’endormit bientôt d’un profond sommeil.

Vers quatre heures de l’après-midi seulement, il se réveilla, et, lorsqu’il eut un peu recouvré ses esprits, dévoré un biscuit et avalé un verre de bordeaux, il commença à réfléchir à sa situation.