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Aussi s’était-il bien gardé de parler d’amour à Mme de Fressantel.

Il ne s’était entretenu avec elle que du malheur qui l’avait frappée ; il n’avait prononcé le nom de son oncle qu’avec une voix émue et une admiration enthousiaste, en paraissant regretter de n’avoir point partagé son sort glorieux ; et si, en quittant Mathilde, après une de ces conversations affectueuses dont elle lui savait gré, il se hasardait à lui baiser la main, ce n’était que respectueusement, du bout des lèvres, avec une sorte d’humilité dont la jeune femme était touchée.

Malheureusement pour les projets de M. de Fressantel, la jolie veuve n’était ni rêveuse, ni romanesque, ni sentimentale, ni passionnée. C’était tout simplement une honnête femme, dans l’acception la plus complète du mot.

Elle avait aimé son mari avec toute la pureté de son âme de jeune fille ; elle le regrettait sincèrement et ne supposait pas qu’elle pût jamais, se remarier. Elle ne songeait qu’à vivre pour sa fille.

Gaston s’aperçut donc bientôt que ses affaires n’avançaient pas ; que s’il avait gagné une amie, c’était tout ; et quand Mme de Fressantel lui apprit, huit jours après son arrivée, qu’elle allait se retirer en Normandie dans sa famille, il ne sut plus où donner de la tête et s’empressa de demander conseil à son ami du Charmil.

— Ma foi, mon cher baron, lui répondit le jeune homme, à ta place, je jouerais le tout pour le tout, car tu peux filer ainsi le parfait amour pendant une dizaine d’années. Déclare-toi nettement, ou pars avec ta tante. La vue des prairies et des moutons te donnera de la patience.

— Paul, je te parle sérieusement, interrompit Gaston.

— Et moi donc ! Seulement, pour flâner en villégiature, il faut de l’argent. Je ne sais si tu en as encore : moi, je suis à sec. J’ai fait une tentative inutile du côté de mon cher père. Pas de réponse !

— Diable ! comment allons-nous faire ? Sarah est criblée de dettes ; elle a besoin d’argent, c’est certain.

— Je croyais qu’elle t’avait trouvé un Gobseck femelle dont elle espérait monts et merveilles.

— C’est vrai : la Fismoise, une de nos vieilles connaissances ; mais je n’en ai pas entendu parler.

— C’est le moment, cependant.

— Je verrai Sarah ce soir et nous en causerons. En ce qui concerne Mme de Fressantel, soit ! je suivrai peut-être ton conseil.

Les deux amis se séparèrent sur ces paroles.

Gaston ne voulut pas remettre au lendemain sa visite à la veuve du général.

Il la trouva au milieu de ses préparatifs de départ, ce qui le décida tout à fait à agir. Il avait pris, du reste, une physionomie de circonstance. Quand Mme de Fressantel l’eût fait entrer dans son salon, elle fut frappée de sa tristesse.